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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 avril 1847

2 avril [1847], vendredi matin, 9 h.

Bonjour toi que j’aime, bonjour mon Victor adoré, bonjour, comment que ça va mon pauvre petit piocheur ? Quant à moi, je vais clopin-clopant et ne sachant plus sur quel pied reposer ma tête. J’ai envoyé chercher de ton fameux [illis.] mais jusqu’à présent cela ne m’a pas soulagée. Mon pied est plus enflé et plus douloureux qu’il ne l’a jamais été et j’ai une migraine atroce. Quelle vieille blaireuse je fais. Je me plains toujours, quand ce n’est pas de ceci, c’est de cela et plus souvent encore de cela que de ceci. Enfin je suis une boîte, non à malice, mais à mal et à maux. C’est fort monotone et fort ennuyeuxa pour toi mais en revanche c’est fort triste et fort embêtant pour moi.
Dites donc, votre [béruyère  ?] [1] me paraît avoir encore moins de probité que de menton. Malgré votre admiration pour sa graisse et pour ses grâces, j’irai lui dire force duretésb et je lui retirerai ma pratique. Ce que j’en faisais, c’était pour vous parce que je pensais que ses oranges vous seraient plus agréables à la bouche et plus douces au cœur que celles du premier venu. Mais je vois qu’il faut en rabattre au moins de moitié, ce qui fait que je n’ai pas besoin de payer ce que vous ne consommez pas. Cependant, si vous tenez à me faire subventionner vos beautés de boutiques, je ne m’y oppose pas. Vous n’avez qu’à parler. Voime, voime, pôlisson, tu n’as qu’à parler pour faire pleuvoir sur ta bosse d’académicien et sur ton nez de Pair de France et de Navarre une grêle de coups et de griffes. Et quoique nous soyons en avril cette giboulée en vaudra plus de deux douzaines de mars. Baise-moi, toi, et viens tout de suite, c’est-à-dire de bonne heure car il est probable que tu dors encore. En attendant je vais me dépêcher de faire toutes mes affaires pour quand tu viendras. Je te dis que je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 74-75
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieux ».
b) « duretées ».


2 avril [1847], vendredi, midi ¾

Je t’attends, mon doux petit bien-aimé. Je sais que tu n’as rien qui t’oblige à sortir de chez toi si ce n’est pour venir chez moi, aussi je t’attends avec un redoublement, sinon de confiance, d’impatience. Je me suis dépêchée de faire toutes mes affaires pour n’avoir plus qu’à rester auprès de toi et à profiter de tous les instants que tu pourras me donner. Nous verrons si j’ai bien fait. Tu vois, mon Victor adoré, que je ne laisse pas perdre une patte de mouche de mon droit et que ce que je ne t’ai pas donné hier, je te le rends aujourd’hui au centuple. Je tiens trop à te griffouiller tout ce qui me passe par le cœur et par la tête pour laisser tomber cette douce habitude dans l’oubli. Il me semble que je n’ai pas vécu quand je me couche sans avoir rempli ma feuille quotidienne, aussi le lendemain matin mon premier soin est-il de te gribouiller toutes les tendresses qui m’encombrent l’esprit et l’âme, sans souci de la manière plus ou moins gauche ou grotesque dont elles se présentent ; d’ailleurs le mot : je t’aimea a autant de grâce les pieds en bas la tête en l’air que dans sa position naturelle. Du moins c’est mon opinion qui, pour n’être pas tout à fait désintéressée, n’en est pas plus mauvaise pour cela. Je laisse à ceux qui savent assez écrire à faire tenir leurs phrases dans un équilibre parfait et leurs mots dans les attitudes convenues par le dictionnaire et la grammaire. Moi j’écris pour mon plaisir à tort et à travers, à bride abattue et de toutes les forces de mon amour, tant pire si je saute chemin faisant par-dessus les barrières de l’orthographe et si je cours à travers le beau langage en l’éclaboussant çà et là d’expressions vulgaires et patoises. Je m’en fiche comme de deux œufs puisque je n’ai pas d’autre prétention que celle de t’aimer mieux que n’importe qui. Mon esprit est dans mon cœur et mon cœur est tout entier à toi, mon adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 76-77
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « t’aime » est écrit la tête en bas.

Notes

[1On n’identifie pas cette commerçante, peut-être épouse d’un M. Béruyer, ou Bérurier ?

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