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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 9 novembre 1854, mercredi soir, 4 h. ¾

Cher adoré, je suis en proie au désespoir noir et qui me conduira au dernier des crimes pour en sortir. Devinea si tu peux et choisis si tu l’oses. Ma vie ou ma mort sont à ce prix. Ce commencement de guet à lettres est infâme, je le sais, et il ne faut rien moins que la lugubre extrémité dans laquelle je me trouve pour y recourir, j’ai presque envie de t’envoyer un avis dans le genre de celui de Guy Fawkesb à Lord Monteagle [1] pour t’empêcher de venir, au risque d’avoir le même sort que ce pauvre reconnaissant mais féroce bonhomme. Mais en y réfléchissant je ne suis pas assez sûre de mon fait pour avoir ce délicat scrupule. Je vous attends de pied ferme, tâchez de tirer votre prose de là en marchant sur mon cadavre à la lettre……..
En attendant j’ai répandu vos bienfaits sur ma jersieuse propriétaire laquelle en a paru stupéfaite d’admiration dans le moment ce qui ne l’a pas empêchée de me refuser son appartement ce matin. Juste ciel vous voilà ! Quel malheur !

BnF, Mss, NAF 16375, f. 375-376
Transcription de Chantal Brière

a) « Devines ».
b) « Fox ».


Jersey, 9 novembre 1854, jeudi midi.

Bonjour, mon Toto, bonjour, je suis très heureuse du mal que vous m’avez fait hier. Je ne m’attendais pas à être exaucée si tôt quand j’étais incrédule à vos bonnes féroces promesses avant-hier et que je vous disais avec découragement : ah ! oui, tu dis ça mais tu ne le fais pas. Eh bien, vous l’avez fait et même surfait cet échignement moral. Merci je suis contente : en voilà assez pour une fois voir cochon de français. Les bousculades ont besoin d’être espacées pour ne rien perdre de leur beauté et de leur vertu. En attendant il faut que j’aille encore à la ville pour acheter mon dessert pour dimanche. Je sais déjà que les Allix [2] viendront. Quant aux autres j’y compte médiocrement mais je m’en fiiiiiche pourvu que je vous aie. Aussi je vais acheter, à votre intention, toutes sortes de bonnes petites choses. J’espère retrouver le chemin de votre cœur en passant par votre estomac. L’important est de rentrer dans la place n’importe comment : sur l’aile d’un perdreau ou dans un pépin de poirea. Tous ces moyens sont bons si vous les goûtez.
J’ai les yeux rouges comme du feu et gros comme les poings. Cependant il faut que j’aille à la ville avec cette figure-là. Voilà l’embêtant. Si vous m’aviez consultée je vous aurais prié d’ajourner votre trempée à un autre numéro. Décidément je ne suis jamais contente même quand je ris comme un vieux sac et que je fais de l’esprit comme un ours. Tenez, rebattez-moi encore une fois car les raclées sont comme les affirmations : accouplées elles valent une négation.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 377-378
Transcription de Chantal Brière

a) « poires ».

Notes

[1Le 5 novembre 1605, Guy Fawkes devait faire sauter le Parlement anglais mais une lettre de mise en garde envoyée à Lord Monteagle et transmise au roi Jacques Ier révéla le « complot des poudres ».

[2Les frères et sœurs Jules Allix, Emile Allix et Augustine Allix sont amis avec Hugo.

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