Jersey, 12 septembre 1854, mardi soir 5 h. ½
Les chants ont cesséa dès que tu as été parti, mon cher petit homme, et je regrette plus que jamais de n’avoir pas retenu l’air dont je t’ai parlé car je suis sûre qu’il t’aurait plu. Il est probable que je ne l’entendrai plus car les occasions de ce genre sont rares et d’ailleurs avant un mois je ne serai plus là pour les saisir au passage. À propos de saisir il n’a pas dépendu de moi tout à l’heure de vous pincer pour une promenade dans la prairie. Mais vous vous êtes esquivé si adroitement que je n’ai même pas eu le temps de vous en faire la proposition. D’ailleurs vous n’êtes pas homme à vous prodiguer deux jours de suite à la joie et au plaisir de votre pauvre vieille Juju. Je n’ose même pas vous demander quand vous avez l’intention de me traînerb avec vous tant je crains d’être indiscrète. Quant à écrire à Dulac de mon cru n’y comptez pas. J’ai bien assez de ma Restitus pour établir ma réputation épistolaire, je ne veux pas la compromettre dans des circulaires gastronomiques. C’est à vous de voir si vous tenez assez à la présence du digne et excellent citoyen pour sacrifier un peu de votre style pour l’avoir. Maintenant je m’en fiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiche, ce dont je ne me fiche pas c’est que vous me blaguiez sur tout ce que j’ai de plus tendre et de plus doux pour vous. Pour peu que cela continue je n’oserai plus vous aimer sérieusement. En attendant je regarde les voiles qui s’enfoncent à l’horizon et le soleil qui disparaît et puis je vous aime irrévocablement.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 295-296
Transcription de Chantal Brière
a) « onts cessés ».
b) « traînez ».