19 novembre [1846], jeudi matin, 8 h.
Bonjour, mon adoré bien-aimé, bonjour mon Victor, bonjour, je t’aime. Je t’écris au milieu de tout le cahos [1] d’un remue-ménage sterling. Je me suis levée à 6 h. ½ du matin et tu sais à quelle heure tu m’as quittée ; aussi je me sens toute frileuse et toute endormie. Pourvu que ces hideux tapissiers soient exacts encore. Je voudrais pouvoir être débarrasséea assez tôt pour pouvoir aller au-devant de toi ce soir. C’est pour cela que je leur ai donné rendez-vous de si bonne heure. J’ai une peur de chien qu’ils ne viennent pas avant midi. Je ne connais rien au monde de plus agaçant que d’attendre en général, mais surtout d’attendre des ouvriers qui ne viennent pas. Je m’aperçois que cette dernière phrase peut aller avec le fameux refrain de Un vieux soldat sait souffrir et se taire sans murmurer [2]. Voilà ce que c’est que de se lever matin, on ab l’esprit à jeun et disposé à gober toutes les stupidités qui se présentent.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Je ne vous fais pas compliment de votre fameux papier satiné, il boit comme un sonneur et se déchire sous la plume comme s’il était griffonné par un [illis.] quelconque ou autre rédacteur du National [3]. Vous pouvez bien le garder pour écrire à vos princesses et à vos [bourel-serpillioux] [4], reverchon et autres gros [troussel] [5] de vos amies. Baisez-moi et aimez-moi ou la mort.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16364, f. 257-258
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « débarassée ».
b) « on n’a ».
19 novembre [1846], jeudi soir, 8 h.
Je suis bien fatiguée, mon Toto, et je ne trouve rien de mieux pour me délasser que de t’écrire de douces choses. Déjà je sens que cela me fait du bien. C’est si bon de t’écrire au courant de la plume toutes les tendresses qui me passent par le cœur et de te donner des millions de baisers en pensée et en désirs, sans te blaser et t’ennuyera, que j’y trouve un plaisir extrême et que je suis très punie quand je ne peux pas satisfaire deux fois par jour ce besoin de mon âme. Tu as vu, mon pauvre amour, qu’il m’aurait été impossible d’aller au-devant de toi, quelqueb envie que j’en avais. Il n’y avait pas dix minutes que les tapissiers étaient sortis de la maison quand tu y es entré. J’avais dans l’origine [6] pris jour mardi dernier mais Jourdain a profité de la jambe cassée de son premier ouvrier pour me manquer de parole. Force m’a été d’accepter ce jour-ci à mon grand dam et grand regret. Heureusement c’est fini et archi-fini jusqu’à l’été prochain et je pourrai reprendre mes séances [7] sans aucun empêchement. En attendant, je voudrais bien que tu me donnasses quelques bonnes minutes d’indemnité ce soir en venant plus tôt que d’habitude. Je suis si heureuse, si heureuse, si heureuse que tu en serais heureux toi-même par contrecoup.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16364, f. 259-260
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « ennuier ».
b) « quelqu’envie ».