Paris, 20 juillet [1880], mardi matin, 7 h.
Cher bien-aimé, je veux être la première à te fêter [1] puisque je suis la première, par ordre d’excellence, à t’aimer. C’est un droit que mon cœur s’arroge sans en demander la permission à personne qu’à Dieu. Et je lui demande, à ce Dieu auquel je crois à travers toi, de prolonger ta glorieuse vie jusqu’à la dernière limite possible de la vie humaine en t’accordant la grâce de voir à l’âge d’homme ton cher petit Georges et celle de bénir la Jeanne de ta Jeanne. J’espère qu’il exaucera ma prière que je lui renouvelle tous les jours en lui offrant d’ajouter à tes précieux jours tous ceux qu’il voudrait encore m’accorder à moi-même.
Je regrette que notre cher Paul Meurice ne soit pas des nôtres aujourd’hui. Il faudra tâcher de combler cette lacune inattendue, non par un autre ami, car il n’y en a pas qui puisse lui être comparé, mais par un redoublement de tendresse, d’admiration et de vénération de nos propres cœurs qui ne demandent pas mieux que d’épancher ce qui les déborde. Je profite de cette occasion, ta fête, pour faire remettre en ordre le grand lustre du salon et faire nettoyer à fond la bibliothèque et les deux vérandasa du jardin. Le mari de Virginie doit l’aider à cette besogne ainsi que le citoyen Colbeau, l’ami de Georges. J’espère que tous [2] les aides viendront à bout de ce supplément de besogne d’ici à ce soir et que nous aurons une maison digne de la circonstance. Quant à moi, en qualité de mouche du coche, je fais tout ce qui concerne mon état sans compter la cinquième roue que j’ajoute à ton carrosse sans aucun résultat appréciable que celui de mon amour qui est, je l’espère, prouvé, prouvé, prouvé… prouvé !
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 194-195
Transcription d’Emma Antraygues et Claire Josselin
a) « verandahs ».