Jersey, 24 mars 1854, vendredi, midi
Merci d’avoir tenu ta bonne petite promesse, mon cher petit homme, merci de ta bonne petite visite de ce matin, merci de tes douces paroles, merci de ton bienfaisant sourire, merci de tout ce qui sort de ton cœur, de tes yeux, de tes lèvres et de ton âme, merci.
Je ne sais pas comment je ferai pour sortir tout à l’heure car j’ai la tête bien malade et les yeux bien troublés. Cependant j’y essaierai dans la pensée de te faire plaisir. Ce sera pendant le dîner de [Bercy ?] depuis une heure jusqu’à deux heures. Dès que la belle saison officielle sera venue, nous tâcherons de reprendre nos longues promenades dans les champs. D’ici là, il faut nous contenter d’errer pendant quelques minutes au soleil autour de nos maisons et d’agripper par-ci par-là quelques petits rayons de bonheur. Je suis tout à fait de ton avis sur la conduite à tenir envers le nouveau venu [illis.] il n’y a aucun inconvénient à ne pas se livrer tout d’abord et il y en aurait de très sérieux et de très fâcheux à accorder légèrement sa confiance à un être douteux. Aussi, mon cher bien-aimé, je me tiendrai sur la plus grande réserve à l’endroit de ce pauvre diable suspect à la première vue des trois choses les plus répulsives : la folie, la charlatanerie et l’espionnage. Et puis encore si cela ne suffisait pas pour me mettre à l’abri de certaines calomnies odieuses et immondes je renoncerais à toutes relations, quelles qu’ellesa soient, avec les proscrits, voireb même les indigènes. Cet effort me coûterait moins que la seule pensée d’être le prétexte d’une lâche et infâme diffamation. Aussi, mon cher adoré, quand tu le croiras nécessaire je suis toute prête à me calfeutrer dans mon isolement en compagnie de mon amour avec joie et courage.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 118-119
Transcription de Chantal Brière
[Souchon]
a) « quelqu’elles ».
b) « voir ».