7 septembre [1845], dimanche matin, 8 h. ½
Bonjour, mon petit bien-aimé, bonjour, mon adoré petit Toto, bonjour, je t’aime, et toi ? Comment va ton petit bedon ? Je n’ai pas eu le temps de te le demander hier puisque tu t’es en allé tout de suite. Vous pouviez bien attendre une minute que je sois éveillée tout à fait. Ce n’est pas de ma faute si je m’endors à minuit quand je suis toute seule. Vous ne devriez pas alors me punir d’une chose qui ne dépend pas de moi en vous en allant tout de suite. Taisez-vous, méchant, vous devriez rester. Ça n’est pas loyal ni généreux de votre part d’abuser de mon premier sommeil.
J’ai eu le marin et sa mère à dîner [1]. J’ai complétéa mes renseignements sur les sauvages. Je n’ai plus maintenant qu’à les mettre au net. Du reste, rien n’est moins piquant que la compagnie de cet homme salé, à part sa conversation sur ses voyages, et encore faut-il qu’il soit très chauffé. C’est une nature très sauvage et très inculte elle-même sans la moindre poésie ni au-dehors, ni au-dedans. Il part demain pour Rochefort et de là pour Brest peut-être. Dans le doute, je ne lui ai donné aucune lettre pour mon beau-frère. D’ailleurs ça n’était pas très nécessaire dans aucun cas.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, est-ce que tu t’en vas aujourd’hui [2] ? Je ne sais pas si je dois désirer que ce soit demain plutôt qu’aujourd’hui puisqu’il faut que tu t’en ailles. Si on me donnait le choix, je ne voudrais pas te quitter du tout, jamais, mais on ne me donne que le choix des bâtons, c’est-à-dire de l’absence d’aujourd’hui ou celle de demain et encore ne me le donne-t-on pas. Taisez-vous, méchant homme et baisez-moi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16360, f. 250-251
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « j’ai completté ».
7 septembre [1845], dimanche après-midi, 4 h.
Mon cher petit homme chéri, je crois que vous m’attrapeza et que vous avez pris la clef des champs tout en ayant l’air de dire que vous ne saviez pas encore. Ce serait très absurde de votre part parce que vous m’auriez empêchée d’aller voir cette pauvre Clairette justement un jour de congé. Si je me trompe, prouvez-le-moi en venant me voir, sinon je croirai plus que jamais que vous êtes parti. Ô non, mon petit bien-aimé, je ne le crois pas, j’en ai peur mais voilà tout. Je sais que tu es incapable de me mentir à moi qui te disb toujours la vérité. Seulement j’ai peur que tu n’aies reçu une lettre en rentrant chez toi qui t’ait obligé à t’en aller aujourd’hui [3] sans avoir eu le temps de m’embrasser. J’espère que tu ne seras pas parti sans m’écrire. Aussi j’attends une lettre de toi.
J’aimerais cent millions de fois mieux toi, quoique tes lettres soient adorables depuis le premier mot jusqu’au dernier. À tout hasard je te ferai ton houblon ce soir. C’est le dernier paquet, ce qui m’embarrasserait beaucoup si tu ne devais pas t’en servir ce soir parce que je ne sais pas comment cela s’achète et quelle dose il faut dans chaque paquet et que je pense que cela doit fermenter et se gâter d’un jour à l’autre. Tu vois, mon petit bien-aimé, que tu n’as pas le droit de t’en aller avant de m’avoir renseigné à ce sujet, surtoutc avant de m’avoir embrassée et approvisionnée d’amour et de courage pour deux jours. En attendant, je t’attends et je t’aime plus que plein mon cœur.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16360, f. 252-253
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Blewer]
a) « vous m’attrappez ».
b) « moi qui te dit ».
c) Evelyne Blewer lit : « [...] et surtout [...] ».