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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 juin 1845

20 juin [1845], vendredi matin, 7 h. ¾

Bonjour, mon adoré bien-aimé, bonjour, comment va ton cher petit pied ? S’il n’est pas tout à fait guéri, il ne faut pas le fatiguer, mon Toto chéri. Quel que soit le désir et le besoin que j’ai de te voir, mon Victor, je saurai être forte et courageuse dans l’intérêt de ton pauvre petit pied. Aussi je te supplie de rester tranquillement chez toi aujourd’hui s’il le faut, afin de ne plus souffrir. Quand je pense que je suis cause de cet accident, je suis furieuse contre moi et contre Mme Guérard qui m’a enseigné ce remède dangereux. Cependant je dois convenir qu’il m’a réussi à moi. Il est vrai que je n’ai pas fait ce que tu as fait et que j’ai suivi la prescription avec la plus grande attention. Enfin c’est fait. Maintenant il faut te soigner et ne pas faire de nouvelles imprudences, même pour venir me voir. Avant tout, mon adoré, avant mon bonheur, ta santé. La pensée que tu souffres m’est aussi insupportable que ton absence. Les deux choses à la fois me sont odieuses, il faut donc te hâter de te guérir, mon bien-aimé, pour que je n’aie pas ces deux chagrins à la fois. Comme tu as été bon de revenir hier, mon Victor chéri ! Je vivrais cent mille ans que je t’en garderais la même reconnaissance qu’aujourd’hui tant j’ai été touchée de cette nouvelle preuve de bonté de ta part, de cette ineffable marque d’amour. Oh ! oui, d’amour. Il n’y a que l’amour qui fasse faire de ces choses-là. Si tu ne m’avais pas aimée véritablement, tu te serais borné à la courageuse petite visite que tu m’avais faite le tantôt, mais tu ne serais pas revenu le soir au risque de te faire beaucoup de mal. C’est comme cela que je l’ai senti, c’est ce qui m’a fait tant de bonheur et tant de joie à la fois malgré l’inquiétude que j’ai que cela ne t’ait fatiguéa. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 321-322
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « ne t’aies fatigué ».


Vendredi 20 juin [1845], après-midi, 2 h. ¾

Je t’ai vu, mon bien-aimé, je te verrai, je l’espère, encore tantôt, mais je crains que tu ne prolongesa ton mal par ces sorties qui doivent te fatiguer toujours un peu. Je me reproche la joie que j’ai à te voir en pensant que c’est aux dépensb de ta prompte guérison. Je suis combattue entre le bonheur de te voir et le remordsc de te faire du mal. Pour être sincère, le bonheur l’emporte sur le remordsc. N’est-ce pas, l’amour rend bien méchant ? Que je vous voie dire : oui, vous verrez ce que je vous ferai. Je vous passerai mon âme à travers le corps. Ah ! mais c’est que je ne badine que tout juste avec les armes à feu.
Je viens de m’apercevoir que tu as oublié ta clef. Cela me contrarie parce que je vois que tu trouves plus commode de venir par le jardin. Moi-même je suis avertie par la sonnette que c’est toi et je cours au-devant de toi, ce qui me donne le bonheur de te voir une seconde plus tôt et de serrer ton cher petit bras contre ma poitrine. Pour ne pas t’exposer à faire le trajet de ma cour tout seul et pour ne pas me voler cette pauvre petite seconde de joie, je resterai dans ma chambre pour te voir venir. Je vais faire ta charpie en attendant, et puis je te baise de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 323-324
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu ne prolonge ».
b) « au dépend ».
c) « le remord ».

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