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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 avril [1845], mercredi matin, 8 h. ¾

Bonjour, mon Toto, bonjour, mon bien-aimé ravissant et adoré, bonjour, comment vas-tu ? Je voudrais bien vous voir dans vos beaux atours. Est-ce que vous ne me donnerez pas cette joie aussi à moi ? S’il faut être vieux et souffrant pour que vous ayez égard à ces enfantillages affectueux, je suis aussi vieille que possible et je suis très souffrante ce matin. Vous voyez, mon amour, que j’ai toutes les qualités qui méritent votre indulgence et votre déférence. Je ne demande pas que la chose se fasse aujourd’hui, je sens bien que cela ne se peut pas, mais je voudrais que ce fût le premier soir que vous serez obligé de mettre votre grand costume [1].
En attendant, je vais chercher ta croix [2] et la nettoyera à l’esprit de vin pour que tu l’aies toute prête quand tu me la demanderas. Tu dois en avoir besoin aujourd’hui ? Je le voudrais pour être sûre de te voir, ne fût-ce qu’une minute. Je vais me dépêcher de te l’apprêter dès que je t’aurai écrit ce gribouillis.
Je suis toute patraque ce matin, mais je sais d’où cela vient et je ne m’en inquiète pas. Seulement c’est ennuyeux.
Il faudra pourtant que tu prennes le temps de dessiner les deux lettres de la légende de la Vierge [3] afin d’emporter ces tapis qui sont tout prêts du reste. La guipure aussi est blanchie à neuf. Le petit tapis, il n’y a rien à y faire. Je regrette maintenant de m’en être servi et de lui avoir ôté toute sa fraîcheur puisqu’il devait aller à toi. La plus belle fille du monde [4]..........b Voilà. Et la plus vieille aussi. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 89-90
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « nétoyer ».
b) Dix points courent jusqu’au bout de la ligne.


23 avril [1845], mercredi après-midi, 4 h. ½

Je ne t’ai vu qu’une seconde, mon bien-aimé adoré, mais cette seconde a suffi pour dorer toute ma journée d’un rayon de joie et d’amour. Merci, mon Victor doux, mon Victor beau, jeune, élégant, bon, noble, généreux, dévoué, admirable et sublime, mon divin Victor, merci, du fond de mon bonheur et de mon amour, merci. Si tu peux venir avant ton dîner, tu me combleras de joie. Si tu ne le peux pas, je tâcherai de n’être pas trop malheureuse en pensant à mon bonheur de tantôt et à celui que tu m’apporteras la nuit prochaine. Car, tu viendras, n’est-ce pas, mon adoré bien-aimé ? J’y compte de toutes mes forces et tu ne voudrais pas me faire le chagrin de ne pas te voir quand tu sais combien je t’attends et je te désire.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o. Je me suis faite bien belle pour vous plaire. Est-ce que vous ne viendrez pas voir si j’ai réussi ? Cela ne m’encourage pas à recommencer quand tu n’en asa pas profité la première fois. Je suis trop patriote pour faire des frais pour le roi Prusse. Aussi, si vous ne devez pas jouir de mes ébouriffantes toilettes, j’aime mieux n’en pas faire du tout et rester dans ma peau d’âne et de marmitonne. En attendant, je suis sous les armes pour votre majesté. Tâchez que ce ne soit pas de la peine perdue et aimez-moi ou je vous tue.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 91-92
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu n’en a ».

Notes

[1Les pairs de France portent un costume particulier : « un habit d’une coupe similaire à celui d’académicien, mais d’aspect plus austère : les parements se limitaient aux manchettes et au collet ; quant à l’épée, elle était toujours aussi sobre. » (Jean-Marc Hovasse, ouvrage cité, t. I, p. 953).

[2S’agit-il de la médaille de chevalier de la Légion d’honneur, Victor Hugo ayant été nommé chevalier en 1825, ou bien de la médaille d’officier de la Légion d’honneur, reçue le 2 juillet 1837 lors de sa nomination ?

[3À élucider.

[4Citation partielle d’un proverbe populaire : « La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a ».

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