Guernesey, 10 février 1860, vendredi soir 7 h. ½
Cher adoré, je suis revenue de notre douce promenade le cœur débordant d’amour pour toi et de reconnaissance envers Dieu. Je ne sais comment l’exprimer à lui et à toi dans mon ignorante adoration et à défaut d’esprit c’est à ma conscience que je m’adresse pour tâcher de justifier et de mériter mon radieux bonheur d’aujourd’hui. Pour cela j’ai commencé par jeter au feu tout à l’heure une mauvaise lettre amère et injuste que je t’avais écrite ce matin ; puis j’en ai demandé pardon à Dieu le suppliant de ne plus permettre que je retombe dans le même tort envers toi et envers lui. Maintenant que j’espère avoir fait la paix avec moi-même je reviens à la joie pénétrante et régénérante que j’ai éprouvé tantôt tout le temps que nous avons été ensemble nos deux âmes se touchant et nos deux cœurs battant à l’unisson. Mon bien-aimé, mon bien-aimé, n’oublions jamais ce premier souffle de printemps de l’année 1860 qui a ravivé toute la sève de notre saint maux.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 16
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette