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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 janvier [1844], jeudi soir, 11 h. ¼

Bonjour mon Toto bien aimé, bonjour mon cher petit homme. Comment vas-tu ce
matin ? Te remets-tu de ta douleur rhumatismale ? Moi j’ai beaucoup souffert toute la nuit et ce matin j’ai un mal de gorge et de tête hideux. J’ai aussi le torticolisa mais je ne pense pas qu’il ait la même signification que celui de Toto. Toujours est-il que je suis très patraque ce matin, peut-être quand je serai levée que cela se dissipera.
Je n’ai pas eu de réponse de Mme Pierceau, tu vois que la pauvre femme n’y met pas beaucoup d’empressement et que j’ai raison de m’obstiner ? Pauvre femme, je me rends bien compte de ce qui se passe en elle, je ne lui en veux pas, le bon Dieu le sait, je la plains de tout mon cœur [1].
Je pense que tu verras peut-être Pradier à l’Institut aujourd’hui, alors tu pourras lui parler et raccommoder un peu le dégât de jeudi [2] mais dans tous les cas je ne regrette pas ce que j’ai fait, au contraire, et ce serait à refaire que je le ferais avec le même emportement.
S’il m’arrive jamais malheur je ne veux pas avoir un seul reproche à me faire. Je ne veux pas qu’il soit dit que j’ai préféré quelque chose à mon amour. Je sens si bien que je ne supporterais pas l’ombre d’une infidélité, que je prends des précautions même pour les apparences. Avant toute chose, avant ma fille, avant Dieu, ton amour. D’ailleurs ces gens attendent de toi une chose que personne que toi ne peut leur donner. D’ici à ce que tu la leur donnesb, nous verrons la conduite de Pradier envers sa fille. Je n’y mettrai pas plus de délicatesse que ça parce que cet homme n’en mérite pas. Mais c’est assez parlé de choses indignes de nous. Je t’aime, voilà qui est au-dessus de toutes les trahisons, de toutes les turpitudes, de toutes les lâchetés de ce monde. Aime-moi aussi, toi, mon Toto, pour que je vive.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 65-66
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « torticoli ».
b) « donne ».


18 janvier [1844], jeudi soir, 7 h. ½

Que tu es beau, que tu es bon, que tu es doux, que tu es charmant et que je t’aime.
Quel dommage que je te vois si peu et qu’il fasse si vilain ce soir. On dirait vraiment que tu choisis ton temps pour me faire des propositions inacceptablesa. Si vous y mettez cette intention, vous êtes bien coupable et si vous le faites naïvement, je vous demanderai pourquoi, puisque vous sortez toute la journée et par quelque temps qu’il fasse, vous ne me faites pas sortir avec vous comme il me convient le plus ? Vous savez que je ne peux pas supporter la boue et les mauvaises odeurs, il était donc plus naturel de me faire sortir il y a quatre jours quand je vous le demandais à cor et à cris [3]. S’il n’y a pas de préméditation dans votre fait, il y a bien au moins taquinerie et contradiction. Répondez. J’espère que vous n’aurez pas la férocité de me priver de ma promenade de ce soir, c’est-à-dire du temps que j’aurais passé avec vous si j’avais accepté ? Je suis comme certain poète affamé qui demande son denier en argent [4]. Moi je demande ma promenade en coin du feu. J’espère que vous ne serez pas plus avare que le grand seigneur en question et que vous consentirez à me rendre mon bonheur sous l’espèce que je vous le demande. En attendant, je baise vos pieds et je vous adore mon délicieux petit bien-aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 67-68
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « innacceptables ».

Notes

[1Mme Pierceau, gravement malade meurt deux mois plus tard.

[2Juliette fait référence à sa lettre du jeudi 11 janvier, où elle s’est montrée extrêmement jalouse de la femme de Pradier, Louise d’Arcet, et a interdit à Victor Hugo d’aller la saluer dans sa loge. (Voir lettre du 11 janvier 1844, jeudi soir, 11 h. ¼)

[3Voir la lettre du 13 janvier [1844], samedi soir, 6 h.

[4À élucider.

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