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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 avril [1837], samedi après-midi, 4 h. ½

Me voilà abandonnée pour tout le reste de la journée sans avoir le droit de me plaindre car j’ai été bien heureuse, bien heureuse ce matin et que vous êtes trop sobre de bonheur pour m’en donner deux fois en un seul jour. Je voudrais bien, mon cher petit Toto, que vous ayez des bauttes un peu plus closes que celles qui vous servent de paniers percésa dans ce moment-ci. Il faut convenir que vous choisissez admirablement votre temps pour avoir des éponges en guise de semelles. « Ça boit tout l’eau », disait le célèbre NAVET [1]. Me voilà encore entraînée, mon cher petit bien-aimé, à vous écrire une grande et grosse lettre malgré la leçon que j’ai reçue ce matin mais pour cette fois je vous dispense de lire la seconde moitié de ma lettre d’abord parce qu’elle ne contient rien que vous ne sachiez déjà, par exemple que je vous aime de toute mon âme, que je vous préfère à tout dans le monde et que je n’ai aucun mérite à cela car de tout temps mon cœur a été fait pour appartenir à vous seul. Une fois ceci dit, il n’y a plus de plaisir et de nouveautés à le redire que pour moi qui ne me lasse jamais et qui éprouve toujours un nouveau bonheur à vous dire la même chose : je t’aime ! Je suis au désespoir de n’avoir pas flairé les nouveaux vers [2] que vous avez faitsb cette nuit. Ça m’aurait pourtant mis bien du baumec dans mes épinards, je ne me pardonne pas d’avoir manqué de lire et de baiser la trace lumineuse de votre génie. Je suis une bête et bien bête, je l’avoue, je le proclame, je le crie et le hurle à qui veut l’entendre. Allons voici la pluie qui recommence à présent, on dirait que le diable s’en mêle pour me faire perdre le peu d’espoir que j’avais de vous revoir bientôt. C’est vraiment par trop guignonnant. Jour mon petit Loto, votre âme est aussi dure que douce est votre peau. Je vous sers votre propre sauce, vous n’avez pas le droit de vous plaindre. Je vais écrire à mon marchand d’huiled, je ne sais pas si huiled prend deux ailes, ll, n’est-ce pas pour voltiger ? Dans tous les cas vous me direz si j’ai fait un cuir d’un trait de plume. Je vais en même temps écrire à Mme Pierceau pour l’engager à venir dîner demain, je pense que cela ne te contrarie pas et même je compte te demander une loge pour Saint-Antoine [3] toujours dans le cas où cela ne te contrarie pas. Et puis je baise tes mains avant tes pieds à cause du temps, gie gie dgie [4]. Jour.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 53-54
Transcription de Chantal Brière

a) « persés ».
b) fait ».
c) « beaume ».
d) « huille ».

Notes

[1À élucider. Juliette emploie plusieurs fois cette expression, entre autres le 24 avril 1841 au soir : « C’est bien de sa part car il aurait pu vous envoyer de la bonne averse qui vous aurait fait faire [bejie, bejie ?] dans vos pieds comme au célèbre NAVET lorsque ses souliers buvaient tout l’eau sur les trains de bois de la rivière ». Navet est le nom donné ultérieurement à un personnage des Misérables, « l’ami à Gavroche », petit vagabond des rues dont le nom figure aussi comme légende de deux dessins à l’encre de Victor Hugo.

[2Hugo compose alors les poèmes du recueil Les Voix intérieures.

[3Théâtre de la Porte-Saint-Antoine.

[4Onomatopée qui suggère le bruit que font des bottes percées qui prennent l’eau.

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