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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1835 > BnF, Mss, NAF 16324, f. 75-76

Mercredi soir, 8 h. ¼

Je vous ai à peine vu aujourd’hui, et encore, dans le peu d’instants que vous avez passés auprès de moi, la moitié a été employéea à vos écritures. Vous mériteriez bien que je joue le même jeu avec vous, vous verriez un peu l’effet que cela fait, affreux sans culotteb que vous étiez. J’avais bien envie de vous dénoncer comme le vrai coupable dans l’affaire de Marie de Morell [1]. Mais soyez tranquille, vous ne vous doutez pas de ce qui va vous arriver. C’est moi qui vous poursuivraic devant les tribunaux pour m’avoir fait toutes sortes de choses que je dirai à l’audience devant MM. les jurés, en leur demandant prompte et bonne justice de cette trop atroce école moderne. Si vous ne vous dépêchez pas de venir me voir, il est clair pour moi que vous me trahissez, alors je sortirai de mon caractère et deviendrai la plus méchante femme, de bonne que j’étais. Mon cher petit Toto, tout ça, c’est des bêtises. Mais ce qui est vrai, c’est que je ne t’ai pas assez vu aujourd’hui, que je désire rattraper le bonheur que tu m’as perdu et c’est pour cela que je hâte de tous mes vœux ton retour. Tu penses bien que je ne t’écris pas dans cette intention puisque tu ne liras ma lettre qu’au moment de te coucher. Mais c’est parce que je t’écris toujours ce qui se passe dans moi et autour de moi. Bonsoir, mon Toto, je te baise avec la bouche, le front, les yeux et les lèvres du petit Toto qui est là. À bientôt.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16324, f. 75-76
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « emploié ».
b) « sans culottes ».
c) « poursuivrez ».

Notes

[1Marie de Morell, jeune fille de seize ans, avait accusé Émile de la Roncière de tentative de viol. Elle avait en réalité monté la scène d’un crime imaginaire, en se ligotant elle-même, et en accumulant pour preuve des lettres menaçantes signées « E. de la R. ». Innocent, le jeune homme est pourtant condamné à dix ans de prison le 10 juillet 1835 à la suite d’un procès aux implications politiques souterraines, sa famille étant ennemie de celle du maréchal Soult, parent de Marie de Morell. Il sera libéré en 1843 grâce à l’action de sa famille et son honneur lui sera rendu en 1849. Juliette évoquait déjà cette affaire dans la lettre précédente. La présente lettre, si elle a été écrite juste après le verdict, pourrait dater du mercredi 15 ou 22 juillet.

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