Vendredi, midi moins 20 minutes
Ta visite a changéa l’heure à laquelle j’allais t’écrire et l’impression sous laquelle je t’aurais écrit. Depuis que je t’ai vu, je suis moins triste, j’ai plus de confiance en notre avenir. Je crois aussi que je suis moins jalouse, mais je n’ose pas le dire trop haut dans la crainte de réveiller au fond de mon cœur une inquiétude mal assoupie. Dans ce moment, je ne veux voir que mon amour, ne sentir que mon amour, ne penser qu’à mon amour.
Mon Victor bien aimé, certainement non, je ne serais pas partie. Je serais revenue soumise et repentante, comme je m’étais en alléeb, blessée et insurgée contre ton despotisme que j’aime et que [je] respecte au fond, quand tu ne l’exercesc pas d’une manière trop humiliante pour notre dignité à tous les deux. Mais quoi que tu fasses et que j’essaie, il n’est pas en ton pouvoir ni au mien de me séparer de toi. Je suis attachée par le cœur à ta tyrannie, deux choses qu’aucun effort humain ne parviendra à briser.
Tu vois bien que je serais revenue. Je suis le pauvre chien qui se sauve un moment devant un traitement trop cruel et qui revient ensuite lécher la main qui l’a frappé, plus docile et plus fidèle que jamais. Je ne poursuis pas la comparaison plus loin parce que les qualitésd physiquese qui distinguentf le chien me manquent. Je m’en tiens à celles qui prouvent un attachement sans borne, une fidélité à toute épreuve.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16323, f. 196-197
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « changée ».
b) « allé ».
c) « exerce ».
d) « qualitées ».
e) « phisique ».
f) « distingue ».