2 février 1835
En échange de ces vilaines lettres qui nous ont tant affligésa, je te donne celle-ci. Je voudrais y mettre dedans toute mon âme ! tout mon honneur ! toute ma probité ! Je veux te donner toute ta vie la joie de te savoir aimé de moi, je veux te donner une éternité de triomphe sur mon amour, en échange de cette minute de douleur, de cet instant de doute, et d’humiliation que tu as éprouvé en lisant ces stupides lettres. Va, rends-les moi ces lettres. Je te donnerai plus de richesses qu’il y a de pauvretésb dans elles, plus d’or pur qu’il y a de clinquant, plus d’amour vrai qu’elles ne renferment de compliments faux et exagérésc.
Ma vie, ma joie, mon Victor, mon enfant, mon Toto, je t’aime, je t’adore. Je voudrais mourir, si de mourir pouvait augmenter mon amour. Je t’aime ! je te dis que je t’aime ! m’entends-tu ? Je t’aime !!!
Tu n’es pas venu encore. Il est 11 h. 10 minutes, et il est trop tard… pour… tant pire, je ne le dirai pas. Je suis toujours de-ci et de-là. J’ai un violent mal de tête. Avec cela, j’ai fait un travail qui ne l’a pas trop bien arrangéed, ma pauvre tête. Mais c’était dans une bonne intention, l’ordre et l’économie : ordre du jour des femmes qui aiment leur amant comme je t’aime. Adieu, tu ne vivras jamais assez pour user mon amour quand bien même tu vivrais l’éternité et que je mourusse dans une minute.
Adieu, à bientôt.
Juliette
[Adresse]
Pour toi
BnF, Mss, NAF 16323, f. 60-61
Transcription de Jeanne Stranart et Véronique Cantos assistées de Florence Naugrette
a) « qui nous ont tant affligées ».
b) « pauvretées ».
c) « éxasgerés ».
d) « arrangé ».