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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 25 février 1853, vendredi matin, 8 h. 

Bonjour, mon pauvre petit homme, bonjour qu’on vous dit, mais vous êtes bien hideux de m’avoir repris votre beau portrait en pied. Vous auriez pu reprendre tous les autres, je ne m’y serais pas opposée, au contraire, et je vous les aurais même portésa jusqu’à votre maison. Voime, voime, je ne sais pas pourquoi vous ne l’avez pas fait mais J’ESPÈRE que vous vous raviserez. D’ici là je consens en ENCOMBRER ma cheminée. Telle est ma faiblesse. Taisez-vous ! Avec tout cela il paraît que votre MARIE TORNE [1] est sérieusement malade. Comment allez-vous faire, mes pauvres empêtrés ? Même en vous donnant Suzanne tout entière, cela ne suffira pas. Enfin vous verrez à en tirer le meilleur parti possible. Quant à moi, je ferai comme je pourrai, c’est tout ce que je peux pour votre service en cette circonstance. En attendant cela, Suzanne profite de l’occasion pour régaler Fouyou aux dépensb de la Duchesse, mais ce que je tolère pour Fouyou je le défends expressément pour moi : ceci très sérieusement, mon bien-aimé, et je te prie de ne jamais me contredire devant Suzanne là-dessus. Outre ce qu’il y aurait d’inconvenant et d’humiliant à ce qu’on m’apportât clandestinement des comestibles de chez toi, ce serait un prétexte pour tes domestiques de te dévaliser à outrance. Aussi, mon Victor, je n’entends pas que tu fasses de la popularité de ce côté-là. D’ailleurs tu n’en as pasc besoin vis-à-vis Suzanne qui t’adore et, Dieu merci, je ne suis ni assez gourmande ni assez indigente pour accepter les rogations de ta table. Ceci dit je t’aime en croûte et en mie que je voudrais être.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 199-200
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « porté »
b) « aux dépends »
c) « n’en n’en as pas »


Jersey, 25 février 1853, vendredi après-midi, 1 h. ½

Oh ! Cette fois-ci je suis bien heureuse et pour de bon. Il était temps car depuis hier j’avais le cœur très gros. J’avais beau me faire des raisonnements pleins de raison, je ne parvenais pas à me consoler de votre enlèvement. Je suis comme les mères qui ont 18 enfants, celui qu’on leur prend, quel qu’il soit, est toujours celui qu’elles aiment et regrettent le plus. Enfin, grâce à Dieu, au daguerréotype et à vos remords de conscience, vous m’en avez rendu un autre, de portrait, et ce n’est pas celui que j’aime le moins. Demain je ferai de la colle de pâte pour pouvoir les accrocher tous au meilleur jour possible car sur ma cheminée je ne les vois pas bien et j’ai toujours peur des accidents.
Merci, cher petit homme, merci, tous les Toto, merci. Je suis tout à fait CORMODÉE [2] avec vous. Maintenant, quand vous pourrez compléter votre bonne action, vous me ferez sortir un peu au soleil car, sans reproche, voilà bientôt quatre mois que je n’ai vu le jour que par ma fenêtre. Ce n’est vraiment pas assez pour la santé et pour le bonheur. Je crois qu’il serait temps de me donner un peu de préau et de me mettre au vert comme les bêtes de somme. Je livre cette réclamation à votre sagesse, qu’elle en fasse ce qu’elle voudra, cela ne m’empêchera pas de vous adorer en buste, en pied et en corps.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 201-202
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

Notes

[1« Maritorne » : femme laide, malpropre et désagréable ; souillon. Ici Juliette désigne la domestique employée de Marine-Terrace.

[2« Cormoder » : racommodée, réconciliée.

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