Guernesey, 2 mai 1860, mercredi matin, 8 h.
Bonjour, mon cher petit homme. Bonjour, comment vas-tu ce matin, mon bien-aimé ? Moi je vais très bien mais il ne s’agit pas de moi mais de toi, mon adoré. Qu’est-ce donc que ce petit désordre de fonction qui t’empêche de manger des oranges dans le moment où elles ont les plus mûres et les plus douces ? Tu me diras cela tantôt en détail pour compléter ce que tu m’as laissé entrevoir hier devant Suzanne. Jusque là je ne veux pas que tu souffres et je ferai tout au monde pour t’en empêcher. J’espère que tu trouveras le feuillet manuscrit que tu cherches sans trop d’ennui. Quant à moi je ne peux t’aider en rien. Outre que Les Misérables n’étaient pas chez moi, jamais je ne touche à tes papiers si ce n’est pour les préserver de tout accident. Ceci dit, mon cher petit homme, j’attends avec impatience de rentrer en possession de ma COPIRE. Je me promets des émotions de toutes sortes depuis les plus poignantes jusqu’aux plus douces ; et toutes les fêtes, et toutes les joies, et tous les bonheurs, et les éblouissements de ton génie. Je voudrais déjà y être. Dans l’intervalle j’ai encore de quoi me régaler avec les deux volumes des Jaloux d’un certain petit François qui ne manquent pas de charme LUI et EUX [1]. Ce jeune homme ne se contente pas d’avoir le plus grand des vivants pour père, il faut encore qu’il ressuscite un des plus grands morts. C’est affaire à lire et je lui en fais mon sincère compliment dans un gros baiser sur ta bouche.
BnF, Mss, NAF 16381, f. 100
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette