Guernesey, 21 juin [18]70, mardi matin, 5 h. ½
Bonjour, mon ineffablement bon, doux et grand bien-aimé, bonjour, sois béni dans tous ceux que tu aimes. J’espère que tu as passé une bonne nuit malgré ton bobo et malgré ton regret de te séparer de tes enfants pendant quelques jours [1]. Il est vrai que petite Jeanne te reste ce qui est bien fait pour te faire prendre patience pendant l’absence de ton Petit Georges. Je pleure en te disant cela car je pense à ma pauvre chère absente qui ne reviendra plus jamais [2], elle. Il y a aujourd’hui vingt-quatre ans qu’elle m’a quittée et j’en ressens la douleur presque aussi vive que dans le premier moment. Sans ton amour, je ne sais pas ce que je serais devenue. Ton amour c’est ma force, mon courage, mon espérance, ma lumière et ma foi. Je vois Dieu à travers et je l’adore en t’aimant et en te bénissant. J’ai le cœur triste et l’âme radieuse. Je pleure et je te souris. Je sens la présence de ma chère petite Claire malgré la cloison lumineuse qui m’en sépare. Je la prie de veiller sur toi et sur tes chers enfants c’est-à-dire de protéger ton bonheur et le mien en ce monde.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 171
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette