Guernesey, 1er septembre 1860, samedi matin, 6 h. ½
Bonjour, mon cher adoré, bonjour et good pic-nic [1] si j’en crois les promesses de cet hypocrite de soleil ce matin. Cependant je trouve la terre bien trempée et les brouillards bien serrés pour se risquer sans imprudence aux festins en plein air au bord de la mer le soir. Enfin puisqu’il le faut, tâche de n’en pas rapporter de rhumatismes ni de clous en te préservant de ton mieux contre toute humidité. Je te demande pardon de ne pas sortir jamais de mes recommandations rabâcheuses qui ne t’amusent pas et qui malheureusement ne peuvent pas te servir beaucoup. Ce n’est pas de ma faute si ma préoccupationa constante de ta santé perce malgré moi dans tous mes gribouillis. J’espère que tu as passé une bonne nuit et que la charade aura eu un plein succès d’acteurs, de costumes et de public. Quant à moi, je me suis couchée au moment oùb la chose commençait et j’ai très bien dormi cette nuit. Attrapéc ! Quant au projet de villégiature à Jersey maintenant il ne me sourit qu’à demi car ne pouvant être ni des pics-nics ni des charades en plein vent et à domicile je mourrais d’ennui et de tristesse toute seule entre les quatre murs de mon auberge au moins 24 heures sur 24. Cependant si tu désires donner ce plaisir à ta famille je te suivrai là comme ailleurs ; en somme l’important c’est que tout le monde soit content et toi par-dessus le marché ! En attendant que cela se décide je fais de mon mieux pour ne gêner aucune de vos distractions ; si j’y parviens et si tu le reconnais j’en suis heureuse et je n’en demande pas davantage, avec le bonheur de t’aimer de toute mon âme autant et plus et mieux encore que le premier jour.
BnF, Mss, NAF 16381, f. 229
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette
a) « préocupation ».
b) « ou ».
c) « attrappé ».