16 août 1860

Guernesey, 16 août 1860, jeudi matin, 7 h.

Bonjour, mon pauvre martyrisé, bonjour. Ne me pardonne pas car je sens que je n’en suis pas digne et pourtant je t’aime de toute mon âme. La pensée que je te rends malheureux me rend folle de remords autant que ce que je crois être des soupçons injustes et avilissants m’exaspèrent et me portent aux derniers excès de la colère et de la douleur. Tu dis que je me trompe et que ce [que] je prends pour de la défiance n’est que de la sollicitude pour moi et tu me le prouves presque ce qui rend mes emportements sans excuses et me fait odieuse à moi-même. Je voudrais m’en punir une bonne fois pour toutes sans frapper sur toi, ma pauvre victime, et jusqu’à présent je n’en ai^a pas trouvé le moyen tant ta bonté et ta générosité t’ont soudé et rivé à ma présente existence. Cependant il faut bien que toutes les souffrances et toutes mes folies aient un terme. Pour cela que faut-il faire, mon Dieu ? Croire à la sincérité de ta sollicitude quand elle m’apparaît comme une humiliante tyrannie, comme une injurieuse méfiance ? Hélas je le veux bien, ce n’est pas la bonne volonté qui me manque mais mon amour a des susceptibilités telles que les meilleures résolutions de ma raison disparaissent devant elles. J’ai beau faire, j’y suis toujours prise. Encore, s’il n’y avait que moi qui en souffre^b, cela ne serait rien. Mais penser que je te fais souffrir les mêmes souffrances qu’à moi-même, moi qui voudrais te les épargner toutes au péril de ma vie, voilà ce qui me désespère et me ferait désirer mourir si ma mort peut délivrer ta vie. MON VICTOR JE T’AIME TROP.

BnF, Mss, NAF 16381, f. 215
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

a) « n’en n’ai ».
b) « souffres ».-