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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 11 déc[embre] [18]72, mercredi matin, 8 h. ¼

Que tu es bon, que tu es adorablement bon, mon cher grand bien-aimé, de m’avoir donné tout le temps de te bien voir tout à l’heure ! J’en jouissais d’autant plus, cette fois, que c’était sans remordsa car le temps était sec relativement au déluge qui nous inonde depuis trois mois. Pour ne rien retrancher de mon bonheur ce matin, je veux croire que tu as passé une bonne nuit. J’espère que ma confiance ne se trompe pas. Blanche, que la situation de son frère [1] tourmente, a relu une lettre précédente de sa mère d’où il résulte que le mot choquant qui pouvait donner barre sur lui n’a été dit qu’à M. Meurice à propos du reproche que le citoyen Simon [2] avait fait de lui sur son service de nuit. Il aurait alors répondu à M. Meurice pour se justifier : « Comment peut-il le savoir puisque depuis la fondation du journal il n’est venu qu’une seule fois dans la nuit ? » Je ne sais pas jusqu’à quel point cette accusation reconventionnelle du jeune Lanvin contre le citoyen Simon est fondée, mais ce que je sais c’est que dès le premier jour ledit citoyen s’est opposé à l’entrée de Lanvin au Peuple Souverain [3] et qu’il n’a pas cessé depuis de lui montrer son mauvais vouloir et de lui chercher noise à propos de tout. Le malheur très grand pour ce pauvre jeune homme, c’est qu’il a trois petits enfants et que voilà bientôt un mois qu’il a perdu sa place et très méchamment je le crois, pour des raisons peu avouables du sieur Simon [4]. Il est bien regrettable que d’Alton-Shée et Duverdier accordent peut-être un peu légèrement leur confiance à un homme que Vacquerie et Meurice font plus que suspecter. Je m’étends bien trop longuement sur ce sujet parce que j’ai à cœur la détresse et les angoisses de toute cette excellente famille Lanvin et parce que je sais combien tu t’y intéressesb et puis parce que [je] ne sais pas écrire court, surtout à toi, car dans chaque lettre, dans chaque syllabe, même la plus indifférente et la plus nulle, en apparence, j’y mets mon cœur et mon âme qui t’adorent.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 341
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette

a) « remord ».
b) « intéresse ».

Notes

[2Probablement Gustave Simon.

[3Le Peuple Souverain est un quotidien républicain parisien dont le premier numéro paru le 16 mai 1872 et s’acheva en septembre 1873. Composé des mêmes rédacteurs que le Rappel (Meurice, Lockroy, Vacquerie, Michelet) il se vend néanmoins moins cher, à 5 centimes le numéro. C’est un « journal à un sou ».
Pour l’inauguration de son premier numéro, Victor Hugo y publia un article dans lequel il encourage les rédacteurs, ses amis de longue date : « Depuis trois ans, avec le Rappel, vous parlez au peuple. Avec votre nouveau journal, vous allez lui parler de plus près encore. »

[4Victor Hugo s’inquiètera de cette situation à son ami Paul Meurice dans une lettre datée du 15 décembre 1872 : « Cher Meurice, j’apprends ce matin un incident qui me chagrine […] Madame Drouet me dit aujourd’hui que ce brave fils Lanvin, marié et père de trois enfants, a perdu depuis un mois sa place au Peuple Souverain, et que tout ce groupe si dévoué et si honnête n’a plus d’espoir qu’en vous. Lanvin fils serait, à ce qu’il paraît, victime de son trop bon service, et aurait eu maille à partir avec un des administrateurs, M. Simon. Il me semble que la chose doit pouvoir s’arranger. Je la remets entre vos mains, mon admirable ami. »

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