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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Paris, 21 juillet [1872], saint Victor, dimanche matin 7 h.

Cher bien-aimé, à la place de fleurs et de compliments, je te donne mon cœur et mon âme aujourd’hui comme tous les autres jours de l’année. Mon amour fait de ta personne et de ton nom une adoration perpétuelle qui n’a pas besoin de se raviver à une date pour te souhaiter le bonheur que tu mérites et que Dieu te doit. J’espère que tu en recevras de forts acomptes dans tes chers petits-enfants et que tu les verras croître en force, en beauté, en intelligence et en amour pour toi jusqu’à leur âge de raison et de reconnaissance. J’espère encore que Dieu me permettra d’assister à tes côtés à ce déroulement d’un avenir heureux et lumineux à faire envie aux anges qui nous attendent dans le paradis des âmes. J’ai cette confiance que Dieu te donnera ici-bas comme récompense de voir le bonheur de tes petits-enfants. Comment as-tu passé la nuit, mon grand adoré ? Je crains que la petite contrariété que tu as éprouvéea hier soir n’ait troublé ton sommeil. Je ne serai tranquille et contente que lorsque je saurai qu’il n’en est rien et que tu vas bien ce matin. Jusque-là il m’est impossible de n’avoir pas un petit nuage sur ma pensée et sur mon cœur. Comme tu m’en avais donné la permission j’ai écrit hier à Louis [1] pour l’inviter à dîner ce soir. C’est un honneur dont il sera bien heureux et bien fier. Je pense qu’on pourrait inviter aussi E. Allix s’il vient assez à temps pour cela. Même avec lui le chiffre 12 ne sera pas dépassé. Je te ferai demander par Suzanne si cela te convient. En attendant je viens de commander un bain dont j’ai grand besoin. La journée promet d’être encore plus cuisante qu’hier ce qui n’est pas peu dire. Heureusement que cette température de crocodiles te va et que tu ne t’en portes que mieux. C’est ce qui me console. Je te souris, je te bénis et je t’adore dix cent mille… etc

BnF, Mss, NAF 16393, f. 208
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette

a) « éprouvé ».


Paris, 21 juillet [18]72, dimanche soir, 5 h.

Dame ! Contez [2] donc citoyen ce n’est pas tous les jours votre fête c’est pour cela que je me livre à des restitus désordonnées aujourd’hui. Demain je rentrerai mes pattes de mouches discrètement mais aujourd’hui je leur permets d’en user tant qu’elles voudront de leurs pattes. Les bouquets continuent d’affluer d’une manière inquiétante pour nos diverses caboches. Il faudra à toute force les mettre le plus possible hors de l’appartement, même dès à présent, si nous voulons échapper aux migraines qui se dégagent de ces ravissantes fleurs. C’est le cas de dire comme le citoyen Chalcas : « trop de fleurs ! trop de fleurs ! [3] » Encore si on envoyait un pot avec le bouquet on pourrait les placer en dehors sur les fenêtres, mais tous mes ustensiles de ménage sont insuffisants et les bouquets se succèdent sans relâche. Quel débordement de rosesa, de magnolias et d’œillets. Toutes les flores parisiennesb et exotiquesc sed sont donnée rendez-vous chez toi. Heureusement que tu n’es pas sous cette montagne parfumée tu en serais écrasé et asphyxiéf. Rien que de les voir s’amonceler j’en suis étouffée. Quelle stupide lettre ! Mais c’est ta faute, pourquoi es-tu si fêté et pourquoi ai-je la rage de trop t’aimer ? That is the question qui n’a pas besoin de réponse. Je t’aime voilà tout tant pis si je suis bête cela ne me regarde pas.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 209
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette

a) « rose ».
b) « parisienne ».
c) « exotique ».
d) « ce ».
e) « données ».
f) « asphixié ».

Notes

[1Louis Koch, beau-frère de Juliette Drouet.

[2« Dame ! Contez » : écoutez.

[3« Trop de fleurs, trop de fleurs, trop de fleurs ! » dit Chalcas (grand augure de Jupiter) à la fin de la première scène (I, 1) de La Belle Hélène, opéra-bouffe en trois actes de Jacques Offenbach, livret de Meilhac et Halévy, représenté pour la première fois au Théâtre des Variétés, le 17 décembre 1864 à Paris. Victor Hugo, très vraisemblablement accompagné de Juliette Drouet, assista à deux représentations de la Belle Hélène à Bruxelles les 6 et 13 juillet 1865.

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