Guernesey, 19 décembre, [18]65, mardi matin, 7 h. ¾
Déjà levé, mon grand bien-aimé, et après une bonne nuit je l’espère. Cette pensée me réjouit le cœur et l’âme et je me sens ZOZO D’EMS [1] depuis la tête jusqu’aux pieds. Nous avons joliment bien fait hier de nous débarrasser en une seule fois de toutes nos dettes de civilités PUÉRILES et EMBÊTANTES au suprême degré [2]. NI NI c’est fini. Maintenant nous pouvons prendre la clef des champs, la clef des bois, la clef des amourettes, sans ficelle à la patte, sans Corbin, sans Marquand et autres cerfs-volantsa à notre queue. Quel Bonheur !!! Je pense, après le tirage que tu as eu hier au soir avec Kesler au sujet d’[Aubertin ?], qu’il est inutile de lui lire la lettre de Vacquerie ? Dans tous les cas, cela ne pourrait avoir lieu au plus tôt que demain quandb il aura achevé de te lire son article, ce qui te laisse le temps d’y penser. Ce soir, nous avons le ménage Marquand et Nain Jaune, sans calembourg pour ce PROFESSORc OF FRENCH, c’est-à-dire joie et délire du deux sans trois et du quatre sans cinq. Je n’en demande pas davantage si cela suffit à reposer ton esprit et à te distraire un peu de toutes tes immenses préoccupations. Je serai bien contente quand tu seras hors du petit brouhaha de ton christmas [3], car je sens que ce surcroit d’occupation s’ajoute péniblement cette année, à cause de l’absence de ta famille, à ton travail surhumain [4]. Encore trois jours, mon ineffable adoré, et tu n’auras plus que le souvenir de la joie que tu auras fait à tous ces pauvres petits MISÉRABLES depuis COSETTE-VICTOIRE jusqu’à GAVROCHE-MARTIN [5]. Que la bénédiction de tous ces pauvres cœurs reconnaissants se répandent sur toi et sur les tiens en gloire, en paix et en bonheur. Moi je t’adore comme le saint des saints. Je baise tes chers petits pieds avec vénération et dévotion.
BnF, Mss, NAF 16386, f. 211
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « cerfs-volant ».
b) « quant ».
c) « proffessor ».