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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 août 1840

7 août [1840], vendredi après-midi, 4 h. ¼

Où êtes-vous Toto ? Je me défie tellement de vous que je suis toute prête à vous croire à Saint-Prix [1] malgré que vous n’en soyez revenu qu’hier. Mais je vous crois capable de tout et encore bien plus d’être à Saint-Prix tous les deux jours. La marchande de modes a envoyé mon chapeau tantôt, je lui ai fait dire de venir ou d’envoyer toucher sa facture mardi prochain. Ai-je bien fait ? Jour Toto. Jour mon petit o. Vous aurez un très maigre dîner ce soir parce qu’avec votre manie de ne jamais rien dire je fais faire de la cuisine pendant que vous allez dîner chez Cousin et à Saint-Prix et que je suis forcée de faire manger à mes créatures pour ne pas la jeter à la borne, ce qui n’arrange pas ma bourse ni la vôtre. Bref, aujourd’hui pour me rabibocher et dans le doute je vous ferai manger tous les petits rogatons, tant pire pour vous. J’ai déjà eu la visite de Résisieux qui venait m’emprunter un ustensile de cuisine pour faire des confitu [2]. En même temps elle s’est informéeb de votre chère santé, scélérat. Baisez-moi Toto. Aimez-moi Toto et n’allez nulle part que chez moi ce soir. Je voudrais bien aussi que vous me fissiez marcher ce soir. J’ai toujours le sang à la tête et je sens le besoin de marcher. Vous seriez bien bon, bien i et bien charmant si vous veniez me chercher pour sortir. Je me trouve bête comme une oie, je sens que je t’aime à l’adoration et je ne peux te le dire que dans un grognement hideux qui ressemble plus à la langue des pourceaux qu’à la langue humaine. Il y a des femmes qui sont construites de telle façon qu’elles ne peuvent pas mettre entier au monde l’enfant vivant qu’elles ont dans le corps. Moi j’ai le cerveau fait de telle façon que la pensée la plus entière, la plus vivante, la mieux sentie, la plus tendre et la plus charmante n’en peut sortir qu’en lambeaux et toute écarbouillée. C’est pas ma faute mais c’est bien incommode de ne pouvoir pas te dire comme je le sens que je t’aime et que je t’adore de tout mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 79-80
Transcription de Chantal Brière

a) « informé ».

Notes

[1La famille Hugo s’est installée au château de la Terrasse à Saint-Prix pour l’été.

[2Juliette reproduit les défauts de prononciation de la fillette.

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