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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 juillet [1840], lundi après-midi, 3 h. ¼

C’est aujourd’hui ta fête, mon Toto, c’est la mienne aussi car je suis bien plus en toi qu’en moi. Je te la souhaite ou plutôt je nous la souhaite bonne et heureuse. Je n’ose pas dire que c’est un heureux présage que de la célébrer au milieu de tous cesa personnages sombres et muets qui ont l’air de porter le deuil de notre mort tant ils sont lugubres et tristes [1]. J’ai beau faire je ne peux pas m’habituer à cette ressemblance morne et inanimée de ta noble et belle figure rayonnante. « UN VISAGE SANS YEUX C’EST UN PALAIS SANS FENÊTRES » (Victor Hugo, Lucrèce Borgia, acte premier, scène 2e).
Je suis tout à fait de l’avis de cet auteur inconnu et je trouve qu’il n’y a pas de ressemblance sans les yeux. Les lignes, les lignes, je me moque des lignes, je ne veux pas les regarder tes lignes. Je ne les aime que dans la rivière ou dans la Méditerranéeb [2] quand j’y pêche des poissons morts. Mais sur ton portrait ça ne me suffit pas. D’ailleurs je méprise le soleil de faire d’affreux coq-à-l’âne comme une simple queue-rouge [3] des boulevards. Je vous demande de faire des lignes seulement sur la figure d’un gens de lettresc, vraiment c’est dégoûtant. Dis donc cochon de soleil, tu méprisesd les yeux de mon Toto, la beauté de mon Toto, le [ravissant ?] je ne sais quoi de mon Toto, affreux soleil cache-toi donc, tu feras bien mieux avec ta figure ronde et bête et ta couronne de rayons qui ressemble à une roue de cabriolet dont ton nez est le moyeu. Vieux potiron va, tiens le voilà ton portrait [Dessine]. Il est gentil hein ? Veux-tu bien te cacher vieux SRIN. Baise-moi toi je t’adore. Je t’aime, je baise tes pieds, tes mains, tes dents, tes yeux, ton âme, tout, tout et bien d’autres choses encore. Baise-moi Toto, je t’aime. Grand saint VICTOR je vous présente mon respect.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 43-44
Transcription de Chantal Brière

a) « ses ».
b) « Méditerrannée ».
c) « lettre ».
d) « méprise ».
e) Juliette dessine un soleil rayonnant à visage humain :

© Bibliothèque Nationale de France

Notes

[1Juliette a très mal vécu une séance de portraits chez le photographe et exprime sa déception face au résultat.

[2Allusion au voyage de l’été précédent qui avait conduit Hugo et Juliette dans le sud de la France.

[3Personnage grotesque, clown.

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