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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 juin 1840

5 juin [1840], midi ¾

Me voilà coffrée jusqu’à minuit ou une heure du matin, mon Toto, car il y a peu d’espoir que je vous voie avant cette heure-là ? Je ne me plains pas car en somme je suis très heureuse et ne changerais pas ma vie sédentaire et solitaire pour la liberté, le monde et le bruit ; donc je suis heureuse et très heureuse et ce que j’en dis ce n’est que pour MÉMOIRE. Je n’écrirai pas aux Lanvin parce cela les dérange de leur besogne plus que ça ne peut leur rendre service et que c’est déjà bien assez quand je ne peux pas faire autrement pour ma fille, ce qui arrive encore trop souvent. Et puis je m’en fiche comme de deux œufs. Le mérite de ces babioles esta dans la manière dont elles vous arrivent et non dans leur mérite intrinsèque. Aussi je n’en veux pas. Je vais finir ma chemise et m’occuper de mes haillons, ce qui vaudra mieux et ne sera pas si difficile à faire.
Je ne t’ai pas écrit hier au soir parce que je croyais à chaque instant que tu allais venir me chercher pour Hernani [1] et puis encore que j’étais très souffrante et hors d’état d’écrire. Mais je te rendrai cela tantôt. En attendant je vais finir ce grand gribouillage et puis faire ta tisaneb, me débarbouiller et travailler. C’est comme si je disais : – Je pense à toi, je te désire, je t’attendsc, je t’aime et je t’adore. Je ne suis pas en train de faire aucun dessin ni aucune définition de quoi qued ce soit. Peut-être que ce soir le vent de l’inspiration soufflerae sur ma plume ou sur mon pinceau et que je ferai quelque chef-d’œuvre mais pour le moment je suis aplatief et stupide. Baisez-moi mon Toto. Je vous aime. Je vous aime et je vous aime. Tâchez de ne pas venir trop tard et tâchez de m’aimer un peu si c’est possible.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16342, f. 189-190
Transcription de Chantal Brière

a) « et ».
b) « tisane ».
c) « t’attend ».
d) « quoique ».
e) « souffera ».
f) « applatie ».


5 juin [1840], vendredi après-midi, 1 h. ¼

Tenez mon Toto chéri je vous paie tout de suite ma dette d’hier [2] et puis je viens de m’apercevoira que mon gribouillage de tout à l’heure est stupide et inepte et je tiens à m’en absoudre le plus vite possible par une profession de foi des plus ardentesb de mon amour pour vous. Je suis bête parce que je vous aime, je suis méchante parce que je vous aime. Je suis ignoble parce que je vous aime. Je suis grognon parce que je vous aime. Je suis laide parce que je vous aime. Gnien, gnien, gnien. Dans un autre moment je vous ferai un petit cours de toupies, de poisons et de pierreuses dans lequel nous classerons d’une manière positive et scientifique les diversesc propriétés de ces têtardes humaines. En attendant je vous prie de passer outre sans vous y arrêter ni du corps ni des yeux ni de la pensée. Si vous m’obéissez vous serez bien gentil et je vous aimerai de toute mon âme. Je vous aimerai tout de même autrement mais je souffrirai. Baisez-moi mon Toto et aimez-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16342, f. 191-192
Transcription de Chantal Brière

a) « m’apercevoir ».
b) « ardente ».
c) « divers ».

Notes

[1Reprise du drame au Théâtre-Français.

[2Dans sa lettre précédente Juliette constate qu’elle n’a pas écrit à Hugo la veille au soir et dit qu’elle se rattrapera « tantôt ».

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