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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 mai 1840

29 mai [1840], vendredi soir, 6 h.

Oh ! viens que je te baise mon Toto, viens que je t’admire, viens que je t’adore. Partout, et à toute occasion, tu es noble et doux, ravissant et sublime, jamais ta divine nature ne se dément et tu es le plus adorable des hommes. Je ne suis qu’une souillon à côté de toi, eh ! bien tu as pour moi les égards, la patience, la douceur, le dévouement et la tendresse ineffable autant que si j’étais ton égale. Vaa je sens bien cela et mon cœur te garde une bien vive et bien sincère reconnaissance sans parler de mon amour qui est au-dessus de tous les mots et de tous les [plus ?] possibles. Pardonne-moi d’avoir été méchante et ridicule tantôt. Je souffrais beaucoup de la tête et cela me rend méchante et hargneuse comme un chien galeux. Permets-moi aussi, mon adoré, de t’empêcher d’acheter cette marquise dans le cas où tu en aurais la possibilité, je m’en passerais, et d’autant mieux que tu as été mille fois bon et adorable à son sujet, et que tout le plaisir et le bonheur sontb là et que je n’en veux pas d’autre. Cela ne m’empêchera pas de faire couvrir mon ombrelle en parapluie tout de même cette année quitte à user de ta galanterie l’année prochaine. C’est dit, je ne veux pas de marquise, la vicomtesse de Siguënza [1] est au-dessus de ces misères-là. Quelle soirée que celle d’hier, mon Toto, quel triomphe, quelles acclamations et que de monde ! Il est vrai que jamais rien de plus beau, de plus admirable et de plus sublime n’avait été entendu par des oreilles humaines. Oh je retiens ma place pour lundi, n’importe où ça m’est égal pourvu que j’entende, que j’applaudisse et que j’adore le chef-d’œuvre et celui qui l’a fait. Je voudrais déjà y être d’abord par ce que samedi soir et dimanche seront passés et que ce sont toujours pour moi deux journées d’ombre, de froid et de chagrin que je redoute presque àc l’égal de la mort quoique je sache que cela doit être et qu’il faut que ce soit. Lundi, donc, plus d’ombre, des rayons du bonheur et de l’amour [2]. Oh ! que je voudrais y être.
Je n’entends toujours pas parler de Mme Krafft ni de son volume, peut-être dédaigne-t-elle de se faire payer sa robe et nous méprise-t-elle assez pour refuser nos [présents  ?]. Imbéciled !!!!e Tant mieux je ne demande que ça ainsi elle ne m’attrapef pas beaucoup. Je fais préparer le dîner pour sept heures précises sans trop oser compter sur ton exactitude mais seulement pour te donner une marque de mon obéissance. Jour Toto. Jour mon amour, je t’aime. Baisez-moi tout de suite. MIEURE que ça, encore, toujours. Toujours.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16342, f. 173-174
Transcription de Chantal Brière

a) « Vas ».
b) « est ».
c) « presqu’à ».
d) « Imbécille ».
e) quatre points d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.
f) « m’attrappe ».


29 mai [1840], vendredi soir, 6 h. ½

Ceci est mon racquit [3] d’hier. Je n’ai pas besoin de vous dire, mon Toto, que c’est une dette bien douce et bien agréable à acquitter car vous le savez aussi bien que moi si vous m’aimez un peu. Je n’ai pas besoin non plus de vous dire qu’il n’est pas 6 h. 1/2 puisque la pendule avance de près d’une heure. Mais ce qu’il faut que je vous dise c’est que je vous aime, que je vous aime et que je vous aime. J’ai beau le dire en paroles, en écritures, en pensées, en cœur et en âme, je ne m’en lasse pas au contraire. Je vous adore mon cher petit homme. Je ne sais pas pourquoi j’ai une frayeur intérieure que ce ne soit aujourd’hui, ce soir, ton départ pour la campagne [4] ? Depuis que cette idée s’est emparée de moi, je suis triste et mouzonne au-delà de ma volonté et de mes forces. Je donnerais bien mon petit doigt pour m’être trompée et pour finir cette journée comme nous l’avons commencée. Enfin je verrai cela tantôt. Jusque-là je vais avoir le mal de la peur jusqu’à ce que j’aie le mal lui-même. En attendant je vais couper tout à l’heure le livre de GRANIER, je ne te promets pas de le lire, par exemple, surtout tout de suite, plus tard je ne dis pas. Après je travaillerai à ma chemise. J’aimerais mieux ne rien faire et sortir avec toi ou seulement te regarder et baiser tes beaux cheveux. Vous n’aviez pas assez admiré le portrait que j’en ai fait. Portrait, non flatté, mais doublement admirable en ce qu’il était vrai COMME LA NATURE. Je commence à m’apercevoira que le talent ne s’accommode pas d’une modestie exagérée et je ferai mon éloge moi-même puisque vous êtes assez ingrat pour l’oublier. Baisez-moi et taisez-vous. Votre dîner sera prêt tout à l’heure, tâchez de venir le manger ou craignez ma fureur. Nous aurons probablement la pratique de la petite Besancenot, le civet à deux pattes de mon logis. Je ne lui conseille pas de venir montrer SES MOUSTACHES si je dîne seule car je ne serai rien moins que gentille si vous me laissez dîner solitaire après avoir fait faire des provisions et tant recommandé le dîner. Tu viendras n’est-ce pas mon amour, si tu savais combien je t’attends et comme je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16342, f. 175-176
Transcription de Chantal Brière

a) « m’apercevoir ».

Notes

[1Le général Hugo aurait reçu du roi Joseph Bonaparte le titre de comte Hugo de Cogolludo y Sigüenza.

[2Jeu de mots avec le titre du recueil de Hugo qui vient de paraître Les Rayons et les ombres.

[3Racquit : Acquittement, paiement.

[4La famille Hugo s’est installée au château de la Terrasse à Saint-Prix pour la saison d’été.

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