Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1840 > Mai > 17

17 mai 1840

17 mai [1840], dimanche après-midi, 3 h. ½

Te voilà parti, mon pauvre adoré, et peut-être pour longtemps ? Je voudrais que tu ne te méprissesa pas sur mes paroles et sur ma mauvaise humeur qui ne t’atteint pas mais qui s’exerce contre cette impertinente fille qui prend à tâche de ne rien faire tout le temps que nous sommes ensemble. Je voudrais que tu pussesb prendre l’habitude de te coucher plus tôtc, de cette manière nous passerions le même temps ensemble et nous serions dans un état plus normal pour nous faire servir et obéir. Cependant que cela ne te gêne pas car auparavant tout au monde j’ai besoin de toi content, heureux et à l’aise ; ma mauvaise humeur n’est qu’accidentelle et le besoin de t’avoir est toujours là plus fort et plus impérieux que jamais. Aussi mon Toto c’est du fond du cœur que je te dis de ne pas te gêner et de venir à ton heure, trop heureuse de te recevoir à quelque heure que ce soit et comme que ce soit. J’ai bien peur cette fois que tu n’ailles à ta campagne [1]. Je donnerais bien des sous et j’accepterais volontiers toutes les stupiditésd de Suzanne pour être sûre de me tromper mais hélas la manière dont tu m’as dit de ne pas t’attendre en dit plus qu’elle n’est grosse. Aussi je suis prise déjà d’un affreux hébètement qui me durera jusqu’à ce que je te revoie. Tu dois en voir l’effet sur la manière d’employer mon papier. Je commence sans devant dimanche [2] au risque de donner gain de cause à ce stupide et banal Arago [3] de ragotante mémoire. Heureusement que c’est le cadet de mes soucis et si je n’avais pas sur le cœur la crainte de votre excursion à la campagne je m’en ficherais à cœur joie. Tâchez, mon amour, si vous allez à cette campagne de prendre la diligence de minuit cette nuit et de revenir, comme l’autre foise, dans les bras de votre pauvre vieille grognon qui vous aime et qui vous adore de tout son vieux cœur. Baisez-moi mon Toto et ne me laissez pas ce gros tas de lettresf sur ma cheminée que je pourrais à bon droit appeler le fumier de l’amour, sorte d’immondice que je tire de mon âme afin de fertiliser votre amour. Je n’y réussis guère car à l’exemple de ces laboureurs classiques vous méprisez mon engrais comme s’il avait subi le procédé Suquet et Krafft [4]. Tout ce verbiage sent bien son fruit, ne vous en plaigniez pas si vous aimez que je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16342, f. 147-148
Transcription de Chantal Brière

a) « méprisse ».
b) « pusse ».
c) « plutôt ».
d) « stupiditées ».
e) « l’autrefois ».
f) « lettre ».

Notes

[1La famille Hugo s’installe au château de la Terrasse à Saint-Prix pour la saison d’été.

[2Juliette a commencé sa lettre par le dernier feuillet.

[3Le 16 mai, Arago a prononcé un discours à la Chambre demandant un élargissement du corps électoral.

[4Selon le Journal de chimie médicale (Labé, Paris, 1843) le procédé Suquet et Krafft consiste à utiliser sans danger pour la santé publique les matières fécales solides et liquides, les unes pour servir d’engrais, les autres pour fournir des sels ammoniacaux employés dans les arts.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne