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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 novembre [1837], lundi soir, 9 h. ¾

Je viens seulement de terminer mes comptes. J’ai voulu me débarrasser de cela tout de suite afin de ne rien oublier et de n’avoir plus absolument qu’à penser à toi. Pauvre bien-aimé, je t’ai encore fâché ce soir et j’en suis bien repentante et bien confuse. Je mérite que tu me pardonnes bien du fond du cœur, parce que je t’aime de toute mon âme, mais je veux que tu rejettes ma faute sur le peu de générosité et sur la mesquinerie de mon caractère. Mon Dieu laisse-moi m’avouer ces tristes vérités. C’est bien assez que tu aies la bonté de me faire passer aux yeux du monde pour ce qu’il faudrait que je fusse, pour une bonne et noble femme, sans encore me le faire accroire à moi-même et malgré que j’en aie. Vois-tu, mon pauvre bien-aimé, hors de toi, de notre amour, je suis une femme comme toutes les autres femmes avec leurs petites rancunes, leur gros amour-propre et leur petit despotisme. Je suis comme cela aussi, moi. Je ne m’en vante pas, à Dieu ne plaise, et il n’y a pas de quoi. Mais je m’en confesse à toi, qui es plus qu’un homme, et dont la mission est de remettre les péchés à la pauvre femme qui s’accuse et qui se repent. Pauvre ange adoré, quand je te verrai je n’aurai pas trop de mes baisers et de mon amour pour te faire oublier ma méchanceté de ce soir. Mme Lanvin est partie à 9 h. Je lui ai lu ton improvisation devant le tribunal [1]. Elle était transportée et indignée touta [à] la fois. Cette pauvre femme a parfaitement compris la mauvaise foi de l’avocat Delangle et senti la puissance et la logique de ta réponse. Ça m’a fait plaisir parce que cela me prouve que cette fois comme toujours tu as été compris de tout le monde. Mon Dieu que je t’aime et que je suis petite et misérable à côté de toi si grand et si noble. Mais je t’aime, vois-tu, et je t’aime tant que cela ne paraît presque pas tant l’amour vrai grandit. Soir pa, soir man.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 47-48
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
[Souchon]

a) « toute ».

Notes

[1Hugo a prononcé sa propre plaidoirie le 6 novembre, lors du procès contre la Comédie-Française.

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