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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 27 novembre 1852, samedi matin, 8 h.

Bonjour, mon pauvre écorché, bonjour, mon pauvre mutilé, massacré et écartelé, bonjour, bonjour. Je t’ai plaint hier tout le temps qu’a duré l’EXÉCUTION de ton chef-d’œuvre qui, en sa qualité d’immortel, n’en est que plus beau et ne s’en porte que mieux à l’heure qu’il est [1]. Quant à moi, mon cher adoré, j’admirais et j’enviais ton héroïque impassibilité devant cette profanation féroce. Pour ma part j’ai eu toutes les peines du monde à tenir en place tant j’étais agacée et irritée de l’outrecuidance de ces pauvres saltimbanques nomades. Et pourtant Dieu sait tout ce qu’ils ont pris de peine et fait d’efforts pour arriver à être grotesques. On ne peut vraiment pas leur en vouloir mais il est impossible en se souvenant de chacun d’eux en particulier de ne pas rire aux larmes. C’est ce qui m’arrive depuis que je suis sortie de cet affreux petit théâtre car je n’ai pas dormi beaucoup. Cher adoré, je pensais à toi, je te voyais beau, jeune, triomphant et sublime comme le jour de la première représentation de ton Angelo et je sentais s’agiter dans mon cœur toutes les tendresses, toutes les adorations de ce temps-là.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 203-204
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud]


Jersey, 27 novembre 1852, samedi après-midi, 2 h.

Je n’ai pas osé te regarder de loin tout à l’heure, mon cher petit homme, pour ne pas attirer l’attention des cordiers qui tournaient leur manivelle sous ma fenêtre à ce moment-là. Mais ce que mes yeux n’ont pu faire, à leur grand regret, mon âme plus heureuse l’accomplit. Elle te suit pas à pas, s’arrêtant quand tu t’arrêtes et tâchant de surprendre au passage quelques choses du grand dialogue que tu as avec la sublime nature et puis encore et surtout elle guette et fait bonne garde autour de vous pour empêcher les rencontres suspectes, les sourires et les coups d’œil coupables. Hélas ! Ce n’est pas une petite besogne, pour cette pauvre âme, et je comprends qu’elle ne vous voie pas multiplier les pérégrinations avec plaisir. Vous seriez donc mille fois gentil de revenir bien vite pour lui laisser reprendre haleine et pour donner une bonne et charmante occupation à mon cœur qui ne sait que faire sans vous. En attendant je perfectionne une effroyable migraine que j’avais ébauchée hier. J’espère l’amener à point d’ici à ce soir à moins que vous n’aimiez mieux la guérir tout de suite COMME AVEC LA MAIN.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 205-206
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Une troupe de Saint-Malo est venue jour Angelo tyran de Padoue à Saint-Hélier.

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