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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 juillet 1851

Mercredi matin, 8 h., 2 juillet 1851

Bonjour, mon pauvre doux bien-aimé, bonjour, avec tout mon cœur et toute mon âme, bonjour.
Je suis consternée en voyant le temps qu’il fait ce matin et en songeant à la mauvaise influence qu’il peut exercer sur ta chère santé.
Je me reproche la confidence que je t’ai faite hier dans la crainte que ce nouveau souci ajouté à toutes les choses tristes qui viennent de se passer [1], à la nécessité de parler dans huit jours [2] et à la fatigue du travail le plus opiniâtre et le plus assidu, ne contribue à augmenter ton mal, moi qui voudrais donner ma vie pour te guérir. Mais cette révélation que je pouvais, auparavant toutes ces douloureuses choses, différer, plus ou moins longtemps afin de prolonger le plus possible le bonheur amer de vivre auprès de ton indifférence, je ne le pouvais plus dès que je pouvais craindre que cette confidence modifiât tes sentiments pour moi. J’ai cru de mon devoir de te montrer tout de suite le seul tort grave que j’eusse envers toi. Je n’ai pas voulu devoir à une surprise, à une sorte de prestige d’irréprochabilité mon bonheur à venir. Maintenant, mon bien-aimé, tu sais tout, bien tout. Tu as encore la pleine liberté de ton choix. Ne prends pas les mouvements de sublime générosité de ton cœur pour de l’amour. Ne te prépare pas de poignants et éternels regrets en voulant assurer mon bonheur car ce serait rendre au contraire mon désespoir plus violent et plus horrible encore. Je suis préparée à tout, mon pauvre bien-aimé, excepté, je te l’ai déjà dit, à te voir souffrir. Si c’est vraiment moi que tu préfères je n’aurai pas assez de toutes mes forces, de tout mon cœur et de toute mon âme pour en supporter la joie. Si tu t’es trompé, si tu as pris la pitié pour les tendres illusions de l’amour, je me résignerai. Tout est prêt en moi pour cela depuis samedi [3]. Je ne me plaindrai pas, tu verras. Je te bénirai au contraire comme l’être le plus doux, le plus grand, le plus généreux et le plus sublime qui ait jamais existé. À ton tour, mon bien-aimé, de n’avoir pas peur de me montrer le véritable état de ton cœur. Dépose ton bilan comme j’ai déposé le mien, balançons nos comptes une fois pour toutes et tâchons de trouver au total le bonheur, ou au moins ce qui en tient lieu pour les pauvres âmes déshéritées : la résignation que tu sois heureux, toi, c’est mon suprême vœu.

Juliette

BnF, Mss NAF 16369, f. 95-96
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
[Souchon]


2 juillet 1851, mercredi matin, 11 h.

Comment te trouves-tu, mon pauvre bien-aimé ? Tu touches à la fin de tes épreuves, mon pauvre grand imprudent, de mon côté du moins ; car, quoi qu’il arrive maintenant, tu n’as plus à attendre de moi que pardon, bonté, reconnaissance et amour. Tu es encore libre, mon bien-aimé. Je n’ai pas voulu me hâter de prendre au mot le bonheur que tu m’offrais aux dépensa du tien peut-être. Le coup qui devait me tuer, loin de m’affaiblir m’a donné des forces surhumaines et je regarde sans vertiges et sans pusillanimité les différentes probabilités qui me sourient ou qui me [illis.] dans ce moment-ci. Pourvu que tu sois heureux c’est tout ce que je veux. J’ai besoin de ton bonheur comme l’oiseau de ses ailes. Je ne peux pas vivre sans ton bonheur. Tout ce qui n’est pas lui m’est odieux. Agis donc sans crainte et sans scrupule et comme si j’étais morte. Si tu savais comme c’est bien vrai que je t’aime, comme mon amour plane au-dessus de toutes les misères et de toutes les douleurs de cette vie, tu ne craindrais pas de me laisser voir le côté humain du tien. Tu n’es plus un homme pour moi, tu es l’âme de mon âme. Je voudrais faire de tous les jours qui me restent à vivre autant d’années de bonheur, de joie, d’enivrement et de gloire pour toi. Dussé-jeb pour cela repasser par toutes les épreuves et par tous les martyres que j’ai déjà éprouvés. Mon Victor, mon Victor, crois à ce que je te dis comme si le bon Dieu lui-même te le disait. Ne crains pas de me faire souffrir si mes souffrances peuvent te donner le vrai bonheur en ce monde. Mon tour viendra et ce sera pour l’éternité car je ne craindrai pas de rivalité entre les plus belles âmes et le plus grand amour lorsque tu verras les miens dépouillésc de tout ce qui les cache et les dépared dans ce pauvre corps si peu digne d’eux.

Juliette

BnF, Mss NAF 16369, f. 97-98
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Blewer]

a) « au dépend ».
b) « Dussai-je ».
c) « les miens dépouiller ».
d) « tout ce qui les cachent et les déparent ».

Notes

[1Le 27 juin 1851, Léonie Biard expédie à Juliette Drouet un paquet de lettres d’amour écrites de la main de Victor Hugo. Juliette Drouet le reçoit le lendemain. Elle découvre alors la liaison que Hugo entretient avec cette jeune femme depuis sept ans.

[2Le 17 juillet, Victor Hugo prononce à l’Assemblée son discours en réaction au projet de Louis-Napoléon Bonaparte de faire réviser la Constitution.

[3Juliette Drouet a reçu le courrier de Léonie Biard le samedi 28 juin.

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