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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 27 septembre 1852, lundi matin, 8 h.

Bonjour, mon bon petit homme, bonjour avec toutes les joyeuses espérances d’une belle journée, bonjour mon ineffable adoré, bonjour. Sois aussi heureux aujourd’hui avec ta belle et charmante fille [1] dans ton excursion de Plémont [2] que je l’ai été hier avec toi dans notre chère petite promenade avec Ponto. Je le désire autant que si je devais être de la partie. Au moment où je passais hier devant tes fenêtres j’ai entrevu ta ravissante Dédé ; elle tendait son front que tu baisais et moi, profitant de l’occasion, j’ai glissé fortement un peu de mon âme dans ce baiser-là. Je suis revenue enchantée de l’occasion d’avoir pu l’embrasser à travers tes lèvres. Mais une fois arrivée chez moi je me suis hâtée de regarder si mes stupides gribouillis étaient encore à leur place pour les brûler afin de te cacher toutes mes sottes divagations. Mais, hélas ! à ma grande confusion, tu les avais emportés. Ce désappointement m’a été d’autant plus désagréable que tu venais de donner un bien doux démenti à toutes mes injustes appréhensions.
Cher adoré bien-aimé, je crains que cette nouvelle injustice ne t’ait froissé dans tout ce que tu as de si bon, de si généreux et de si indulgent pour moi. Cette pensée m’attriste l’âme et je donnerais tout au monde pour t’en demander pardon tout de suite tant j’ai peur que tu ne sois mécontent de moi. Tâche de venir bientôt, mon cher petit homme, pour que j’efface cette mauvaise impression avec mes baisers et puis tu vas voir comme je vais être bonne et courageuse. Je sens que j’ai des torts à réparer envers toi aussi je vais mettre mon bonheur à te les faire tous oublier. En attendant, mon bien petit bien-aimé, je regrette de m’être laissée aller encore une fois à mes méchantes préventions. Je te promets que cela ne m’arrivera plus jamais.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 373-374
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Jersey, 27 septembre 1852, lundi, midi ½

Je me perds dans mes observations barométriques et je ne sais plus à quel Réaumur me fier. Ordinairement à ce moment de l’année le brouillard du matin est le précurseur d’une belle journée. Aujourd’hui, il y en avait un à couper au couteau, ce qui n’empêche pas cet après-midi d’être fort grognon et fort maussade. Où ALLONS-NOUS si le bon Dieu lui-même se met à manquer de parole au baromètre ? Tout cela ne me dit pas à quoi vous vous êtes décidé pour Plémont [3]. Si je pense à la joie de la pauvre petite bien-aimée [4] je désire que cette excursion se fasse. Si je pense à……a non je ne veux pas penser à moi. Je ne veux penser qu’à vous tous, mes pauvres doux êtres si bons et si charmants, et je souhaite que, d’une façon ou de l’autre, vous trouviez moyen d’employer cette journée à bien vous amuser et à être très heureux. Moi, pendant ce temps-là, je m’occuperai à écouter toutes les colères populaires de Paris en faisant causer la sœur de mon propriétaire. Il paraît que la tristesse et le découragement sont au comble et que la misère parmi les ouvriers est effrayante. Cette brave femme s’est enfuie de Paris pour ne pas passer l’hiver dans cette ville désolée. Comme son mari doit la rejoindre dans une quinzaine de jours elle m’a offert de la charger de toutes mes commissions, ce que j’ai accepté avec empressement en songeant à profiter de l’occasion pour faire venir ton papier à dessiner et tous tes ustensiles. Ce soir on me dira si des dames du pays qui devaient partir sont encore ici. Dans ce cas-là elles se chargeraient d’emporter plusieurs lettres pour Paris. Dans ce cas-là tu pourrais peut-être y joindre quelques-unes des tiennes que tu voudrais faire parvenir plus sûrement. Mais pour cela, mon bon petit bien-aimé, il serait nécessaire que tu les préparassesa le plus tôt possible. Tâche donc de venir ce soir pour que je te prévienne à temps. Tâche surtout d’être très heureux et de m’aimer un peu. Quant à moi ma vie, mon amour et mon bonheur sont avec toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 375-376
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) 6 points de suspension.
b) « préparasse ».

Notes

[1Adèle Hugo (1830-1915), la fille cadette de Victor Hugo.

[2Grottes de Plémont : « grottes naturelles au bas d’un promontoire granitique. Pour Adèle ces caves sont « une des merveilles du monde. Se figurer des rochers immenses taillés, soit en forme de cathédrale, soit en grottes mystérieuses avec cataractes et torrents, le tout dans la mer. » Pour son père, elles ressemblent à « un palais de Titans écroulé dans la mer. » « Plémont vaut Étretat » écrit Victor Hugo dans L’Archipel de la Manche cité par Gérard Pouchain, Dans les pas de Victor Hugo en Normandie et dans les îles anglo-normandes, Éditions Orep, 2010, p. 62.

[3Grottes de Plémont : « grottes naturelles au bas d’un promontoire granitique. Pour Adèle ces caves sont « une des merveilles du monde. Se figurer des rochers immenses taillés, soit en forme de cathédrale, soit en grottes mystérieuses avec cataractes et torrents, le tout dans la mer. » Pour son père, elles ressemblent à « un palais de Titans écroulé dans la mer. » « Plémont vaut Etretat » écrit Victor Hugo dans L’Archipel de la Manche cité par Gérard Pouchain, Dans les pas de Victor Hugo en Normandie et dans les îles anglo-normandes, Éditions Orep, 2010, p. 62.

[4Adèle Hugo (1830-1915), la fille cadette de Victor Hugo.

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