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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 17 décembre 1852, vendredi matin, 8 h.

Bonjour, mon bon petit homme, bonjour des ouïes et des nageoires maintenant que nous avons adopté l’état de poisson rouge. Je ne sais pas dans quel état tu es rentré hier mais, ce que je sais, c’est que je n’avais pas une seule écaille de sèche et que mes caoutchoucs auraient pu servir de bassins dans un jardin public. Du reste, loin de m’en plaindre, je suis au contraire heureuse comme une Juju dans l’eau et je ne troquerais pas mes nageoires contre les immondes pattes du Boustrapa couronné. Tela est mon orgueil. Maintenant, pourvu que ce régime de phoque et de loup marin ne t’enrhume pas, tout est pour le mieux et vive le déluge ! Quel Bonheur !!! J’espère que tes convives n’auront pas eu la lâcheté de reculer devant ce petit grain de beauté [1]. D’ailleurs ils avaient la ressource des bâtiments à voiles, voireb même des simples canots à l’heure. Quant à nous, nous sommes venus échouer heureusement devant un bon feu. Il était temps. Encore quelques brassées et nous aurions fini par perdre corps et biens. Nos parapluies démâtés, n’obéissaient plus et nous avions plus de six pieds d’eau à fond de jupe et nos quilles heurtaient les bans de Boustrapa et des écueils de sénatus-consultesc qui soulevaient nos carènes et faisaient trembler nos carcasses jusque dans leurs fondements. Ces nouvelles de mer de Jersey n’ont rien de sinistre mais elles tiennent de la place comme vous voyez, si bien qu’il m’en reste à peine pour vous baiser sous pavillon.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 277-278
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « telle ».
b) « voir ».
c) « sénatus-consulte ».


Jersey, 17 décembre 1852, vendredi après-midi, 2 h.

Les jours se suivent et les averses se ressemblent comme deux gouttes d’eau, mon pauvre petit homme. Aussi je prévois la même traversée pour ce soir. Cette fois j’ai pris la précaution de faire sécher et de garder comme rechange toute ma défroque mouillée d’hier. Fichtre, si je n’y prenais pas garde tout mon budget [illis.] irait à vau-l’eaua et de blanchissage. J’ai reçu ce matin des lettres de France, toutes celles qui devaient m’arriver par la caisse. À l’exception de Mme de Montferrier et de sa sœur, tout le monde a répondu à l’appel, qui plus que moins, jusqu’à l’aimable Céleste sous la forme cuir bouilli et zinc bronzé ! Il n’est pas jusqu’à la mère Lanvin qui n’ait voulu apporter des brimborions à l’œuvre de charité, ce dont je l’aurais très fort dispensée si j’avais été là. Du reste, mon amour, pas un mot de politique. On voit que tous ces gens-là ont la bouche cousue par la peur. Je ne croyais pas les FRRRRRRRANCE et surtout les FLRANCAISES si faciles à intimider. J’en suis fâchée pour leur bravoure proverbiale qui jette un vilain coton [2] dans ce moment-ci. Quant à moi, je n’ai peur que de vous. Quant au reste de l’univers je m’en fiche à pied, à cheval, en bateau et en ballon.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 279-280
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « à vaux l’eau ».

Notes

[1Jeu de mot sur grain, vent violent souvent accompagné de précipitations.

[2Jeter un mauvais coton a le même sens que filer un mauvais coton.

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