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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 mars 1852

Bruxelles, 27 mars 1852, samedi matin, 8 h.

Bonjour mon Victor bien-aimé, bonjour mon doux adoré, bonjour. Je suis bien heureuse et je le serai encore davantage si tu ne regrettes rien et ne désires rien en dehors de tes douces et chères affections de famille et de moi.
Quelle ravissante journée hier, mon bien-aimé, si elle avait pu être tout à fait complètea, elle aurait été au nombre de nos plus rayonnantes. Mais enfin tout incomplèteb qu’elle ait été j’en garderai un souvenir bien tendre et bien reconnaissant toute ma vie.
Pauvre bien-aimé, j’ai beau m’observer et réagir sur moi tant que je peux pour que tu ne t’aperçoives pas de ma défiance et de ma jalousie, je n’y parviens pas. J’en suis honteuse et inquiète tout à la fois car il est impossible que cela ne me donne pas un grand ridicule à tes yeux et que cela ne finisse par lasser ta patience et ta bonté. Je ne sais pas à quoi cela tient mais j’ai à chaque instant des espèces de soubresauts intérieurs comme lorsqu’on est surprise par un grand malheur. Mon sommeil même est agité par ces sortes de frayeurs sans cause apparente. Toutes ces commotions successives finissent par me donner une susceptibilité physique et morale très désagréable pour toi, mon pauvre bien-aimé, et très gênante pour moi. Aussi je voudrais pour tout au monde me guérir de cette infirmité plus ridicule qu’intéressante. Si je n’y parviens pas ce n’est pas de ma faute, car j’en sens tous les inconvénients et j’en pressens toutes les tristes conséquences. Je crois qu’un bon régime d’un ou deux mois de vraie intimité avec toi, c’est-à-dire de bonheur parfait, me rendrait la sécurité définitive et sans rechute. Mais comment les avoir, ces deux mois de bonheur ? Là est la difficulté presque insurmontable. On peut à la rigueur acheter de la santé, mais du bonheur il faut le faire soi-même, ce qui est plus difficile, surtout quand les outils les plus indispensables vous font défaut. Cependant je ne désespère pas encore tant j’ai foi en ta bonne volonté et en ton habileté. Mais jusque-là je t’aime comme le meilleur et le plus grand des hommes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 257-258
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « complètte ».
b) « incomplètte ».


Bruxelles, 27 mars 1852, samedi après-midi, 3 h.

Je n’ai pas suivi ton conseil, mon bon petit homme, quoiqu’il m’eût été très doux de t’obéir en cela comme en toute chose, parce que j’avais quelques petits raccommodages pressés à me faire. Du reste, ne le regrette pas pour moi, mon adoré bien-aimé, car j’ai pris hier de l’air, de la santé, de la joie et du bonheur pour plusieurs jours. D’ailleurs tu sais que j’en ai encore une bonne petite ration pour ce soir, de bonheur, aussi je réserve la sortie pure et simple pour les jours où je serai tout à fait à bout de souvenirs doux et d’espérances aimables. Je ne veux pas mêler mes fastidieuses distractions avec celles si charmantes que tu me donnes. C’est une idée que j’ai comme cela. Taisez-vous !
La pauvre cuisinière est toujours malade. C’est Suzanne qui la remplace, non sans défiance de part et d’autre, car la mère Luthereau ne lui est rien moins que favorable et la Suzarde s’en aperçoit trop bien. Enfin sa bonne volonté suppléera au talent. Quant à moi je ne tiens pas autrement à la perfection de la sauce et j’aimerais mieux manger du veau dans une ruine éternellement avec toi que des poulets truffés avec des imbécilesa. C’est drôle mais c’est comme cela. ON N’EST PAS PARFAIT.
Mais dites-donc, mon petit homme, vous qui donnez de si bons conseils aux autres que ne prêchez-vous d’exemple en sortant tous les jours une heure ou deux après votre déjeuner ? Il me semble que cela vous ferait encore plus de bien qu’à moi et puis avec ma manie de vous imiter en tout, je ne tarderais pas à en faire autant. Allons, mon cher petit homme, un peu de courage dans les jambes et plantez-là votre grande plume et vos piètres visiteurs le temps seulement de sentir sur votre dos le soleil du bon Dieu et de rafraîchir vos poumons au souffle du printemps. Il me semble que j’en éprouverai par sympathie tout le bien que cela vous fera à vous-même. Ainsi, mon bon petit homme, si ce n’est pour toi, que ce soitb pour moi que tu prennes cette habitude hygiénique. En attendant je t’adore à perdre haleine.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 259-260
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « imbécilles ».
b) « sois ».

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