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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 2 mars 1852, mardi matin, 8 h.

Bonjour mon Victor, bonjour mon trop aimé, bonjour. J’ai le cœur un peu gros en pensant que je ne passerai pas ma soirée avec toi, mais d’un autre côté je ne demande pas mieux que tu t’amuses si cela ne doit pas t’empêcher de m’aimer et de m’être bien fidèle. On dit qu’il y aura beaucoup de jolies femmes en bataille rangée. Tâche de me rapporter ton cœur sain et sauf de toutes ces bombardes [1] d’œillades et de mitraillades de coquetterie à bout portant. Chaque fois que tu te risques dans ces sortes d’escarmouches galantes je sens mon pauvre amour tout tremblant et plus près de la mort que de la vie. Je me demande avec inquiétude comment tu me le rapporteras. Enfin, mon pauvre adoré, outre le chagrin si vif de ne pas te voir autant que j’en ai besoin s’ajoute la jalousie trop fondée de te savoir en buttea à toutes sortes de provocations et malheureusement encore trop accessible à toute espèce de séduction. Ce n’est pas une raison pour t’empêcher de t’amuser. Mais c’en est une pour que je sois assez tourmentée maintenant pour peu que tu t’y prêtes. Il n’y a pas de raison pour que Mme Van Hasselt ne t’accapare pas tout entier sous prétexte d’archéologie, de musiquerie et autres blaguarasseries du même genre. C’est à toi de voir si tu y consens. Quant à moi je proteste de toutes mes forces contre cet abus de l’hospitalité de la cicérone [2].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 163-164
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « but ».


Bruxelles, 2 mars 1852, mardi midi

Je vous demanderai mon petit homme quellesa sont les femmes assez ordonnées pour raccommoderb vos gilets de flanelle au fur et à mesure qu’ils se trouent sur votre peau pour leur faire mon compliment. J’espère que vous ne refuserez pas de me les faire connaître afin que nous nous entendions sur le partage de cette besogne. Ceci ressemble fort à la rosette d’Arnal qui retrouva un nœud à la place. Cependant comme je trouve tout simple que vous soyez recousu par celles qui vous plaisent et qui vous accommodent et vous raccommodent le mieux, je suis décidée à ne leur faire aucune concurrence. À quoi bon d’ailleurs ? Je ne suis pas de force à lutter avec une faiseuse d’accrocs et de reprises perdues et mon fil n’est pas de celui qui va à votre aiguille. Je me pique d’assez de fierté pour n’en vouloir rien rabattre sur mes désavantages. Je vous laisse donc tout entier à vos mystérieuses couturières que vous n’êtes peut-être pas seul à PRISER ce qu’elles valent. Seulement je vous prierai de penser que je ne vous verrai probablement pas du tout ce soir et qu’il y aurait peut-être un peu de cruauté à vous à ne pas faire un léger contrepoids dans la journée à ma triste soirée. Tâchez de venir, mon petit homme, car malgré le plaisir que m’a fait la surprise de ma nouvelle collaboratrice en gilet de flanelle je n’en suis vraiment pas beaucoup plus gaie je vous en assure. Mon Victor, mon Victor, mon Victor, je vous aime trop, hélas.

Juliette

BnF, Mss NAF 16370, f. 165-166
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « qu’elles ».
b) « racomoder ».

Notes

[1Bombarde : au Moyen Âge, machine de guerre servant à lancer des boulets.

[2Cicérone : guide appointé qui explique aux touristes les curiosités d’une ville, d’un musée, d’un monument.

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