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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 13 janvier 1852, mardi après-midi, 2 h.

Il y a un mois à pareille heure, mon cher petit homme, j’attendais avec une inexprimable impatience le moment de me mettre en route pour venir te rejoindre et, quoique je fusse rassurée sur toi personnellement, puisque je te savais hors des griffes de ce misérable chat-tigre à pifa de perroquet [1], je n’en n’étais pas moins très tourmentée par l’immense responsabilité de te rapporter tous les trésors de ton génie accumulés et thésaurisés par toi depuis tant d’années [2]. Grâce à Dieu j’y ai réussi et j’y réussirai toujours tant qu’il me restera un souffle de vie. Oui, mon adoré bien-aimé, tant que je vivrai ta personne et ta pensée seront libres. J’en suis bien sûre, aussi sûre que je le suis de t’aimer plus qu’un homme, autant qu’un Dieu. J’ai le pressentiment que tant que je serai de ce monde aucun malheur irréparable ne t’atteindra et je me fie à cette sorte d’intuition et de seconde vue qui me vient de Dieu comme à une promesse sacrée QUE RIEN NE peut détruire.
Quelles charmantes lettres, mon Victor, que celles de tes chers enfants. On y trouve tout : la raison des hommes mûrs, la naïveté de l’enfance, la tendresse pénétrante et gracieuse des femmes. Ils t’aiment, tous ces braves jeunes hommes, avec l’expansif abandon du premier âge et avec la forte et mâle virilité de l’homme fait. C’est charmant et c’est puissant. Je ne peux pas me lasser de les relire tant cela me plaît. Quant à ta fille, c’est un ange. Je l’aime avec une sorte de maternité respectueuse. Je l’admire et je la bénis.
Cher adoré, il n’y a pas une joie qui n’ait sa déception. La mienne aujourd’hui est dans l’arrivée inattendueb de Mme Esther Guimont [3] qui vient se loger chez Mme Wilmen. Je prévois tout ce que ce prochain voisinage va apporter de trouble et de perturbation dans notre pauvre petit établissement et j’en suis d’avance toute contristée et toute malheureuse. Je doute que tu puissesc trouver une autre solution que notre départ de Bruxelles avant l’arrivée de cette dame. Mais alors que d’embarras, d’ennui et d’argent rien que pour ce déplacement seul. Je t’attends mon adoré pour en causer à fond avec toi. D’ici là je t’adore de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 15-16
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin, Blewer]

a) « piff ».
b) « inatendue ».
c) « puisse ».

Notes

[1Louis Napoléon Bonaparte.

[2Entre Paris et Bruxelles Juliette a transporté la malle contenant les manuscrits de Victor Hugo.

[3Esther Guimont, qui se disait courtisane, connaissait Hugo au moins depuis septembre 1848. Elle avait été la maîtresse d’Émile de Girardin.

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