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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 décembre [1841], mardi, midi ¾

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon cher amour, je vous aime et vous ? Je me suis parée de la camisole tricotée du paon et j’en suis bien aise car j’avais bien froid, mais dans deux ou trois jours j’aurai mon mantelet, ce qui sera tout aussi chaud et beaucoup plus gentil. Par la coquetterie qui courta, ça n’est pas à dédaigner.
Puisque vous deviez ne pas aller à la séance de l’Institut ce matin, pourquoi n’êtes-vous pas venu à la MIENNE ? Vous êtes un vieux sournois que je surveillerai d’importance, soyezb tranquille. En attendant, baisez-moi.
Dis donc, Toto, a-t-il crié lorsqu’il m’a mordu ? [1]
Dis donc, Toto, a-t-il crié quand il m’a mordu ?
Dis donc, Toto, ………….c [2] ?
Dis donc, Toto, est-ce que ça n’est pas le vrai moyen de te rendre à toi-même les stupidités dont tu m’accables, dont tu m’infestesd et dont tu M’INFECTESe. Chaque fois qu’il t’arrivera d’en dire ou d’en faire d’aussi bête que celle-là, je te la ferai ravaler et remâcher jusqu’à ce que le cœur te lève. Dis donc, Toto, est-ce qu’il n’a pas crié quand il m’a mordu ? Baise-moi, tu es mon pauvre petit bien-aimé.
Est-ce que tu ne me feras pas sortir un peu ce soir, mon amour ? J’ai pourtant bien mal à la tête. Vous ne vous étiez pas vanté de ce qu’on jouait Ruy Blas hier, vilain drôle. Peut-être même y êtes-vous allé, vous êtes assez sournois et assez vaurien pour ça [3]. Mais je le saurai, soyez tranquille. En attendant, baisez-moi, aimez-moi et CRAIGNEZ-MOI.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 255-256
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « courre ».
b) « soyer ».
c) Juliette a tracé un certain nombre de points et de tirets.
d) « infeste ».
e) « INFECTE ».


28 décembre 1841, mardi soir, 6 h. ¼

Me voilà, mon Toto, mais si fatiguée, si pleine de poussière et si hideuse que je n’ose même pas t’embrasser sur le papier dans la crainte de te salir. Cependant, ça n’est pas fini et demain vient le tour des carreaux et des armoires, en attendant que le tour de la Juju vienne, ce qui ne sera qu’après le sieur MÉNAGE bien entendu. Cependant, mon Toto, à tout seigneur tout honneur et si vous me faites celui de venir, je serai trop heureuse de vous faire passer même avant le SIEUR MÉNAGE. L’amour comme vous le voyez par moi est le véritable prodige de la chimie et rien ne peut lui être comparé, pas même votre procédé pour faire tomber vos cheveux [4]. Dieu de Dieu, que je suis stupide, il est vrai aussi que je suis affreusement sale et fatiguée. J’aurais dû me débarbouiller et me reposer auparavant de faire ce gribouillis, j’aurais peut-être été moins inepte mais à coup sûr, je ne l’aurais pas été davantage. Heureusement que vous ne m’avez pas prisea pour mon esprit, AU CONTRAIRE, je n’ai donc pas à m’inquiéter, au contraire.
Comment va ta pauvre tête, mon chéri, dis ? Tu devrais faire attention à cela et modérer ton travail et sortir moins à la pluie et au froid. Moi, j’ai mal à la tête par l’excès contraire. Ne pas sortir du tout et ne rien faire du tout, voilà la cause de mon mal. Si nous pouvions partager entre nous deux, toi ma paresse, moi ton travail, nous nous porterions comme des charmes. Je t’aime, mon Victor bien-aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 257-258
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « pris ».

Notes

[1Allusion à élucider.

[2Juliette reprendra cette plaisanterie dans une lettre du 31 décembre. Elle fait peut-être allusion au fait que Jacquot l’a déjà attaquée plusieurs fois en la mordant violemment (voir les lettres du 30 novembre ou du 15 décembre). À ce sujet, Juliette faisait d’ailleurs remarquer à Hugo : « Avec votre manie de vouloir me faire caresser Jacquot, vous êtes cause que j’ai encore été mordue ce matin et que mon pauvre doigt, cicatrices et plaies, n’est plus qu’un lambeau hideux ».

[3Ruy Blas a été repris à la Porte-Saint-Martin le 11 août 1841, avec Frédérick-Lemaître et Raucourt, pour de nombreuses représentations régulières en août, septembre et octobre, très ponctuelles en décembre.

[4Jean-Marc Hovasse remarque qu’en 1842, Hugo se mettra à perdre naturellement ses cheveux. Peut-être la chute a-t-elle commencé déjà fin 1841 (Victor Hugo, t. I, ouvrage cité, p. 855).

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