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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 décembre [1841], dimanche matin, 10 h. ¼

Bonjour mon Toto, bonjour mes chers petits Totos. Comment allez-vous, mes bons petits bonshommesa [1] ? Je vous aime, moi, je vais bien comme vous voyez. Pourquoi n’es-tu pas venu, toi, monsieur Toto, est-ce que c’est à cause de Claire [2] ? Mais non, car tu n’es pas venu davantage tous ces jours derniers et d’ailleurs, ce n’est pas votre habitude de ne pas venir quand Clairette est à la maison. Je désire, mon petit homme, que vous ne changiez pas d’habitude quand elles sont bonnes, et je désire bien vous voir le plus tôtb possible. Est-ce qu’on donne Ruy Blas ou Angelo, je voudrais bien y aller, moi [3]. Mais je n’irai pas, j’en suis bien que trop sûre. Vous êtes une bête et Jacquot aussi. Il est comme vous, il ne veut pas venir sur son bâton, il reste dans le fond de sa cage comme un OU. Nous verrons tout à l’heure si la boustifaille le fera sortir, il en est très capable. Enfin, c’est votre portrait trait pour trait au physiquec et au moral - gueulard, traître et féroce et il a un habit VERT [4]. Je n’ai pas gagné au change, si ce n’est les nombreux et immenses coups de becd qui zèbrent ma peau dans tous les sens [5]. Tenez, vous êtes deux monstres.
Il fait bien beau aujourd’hui, est-ce que tu ne viendras pas bientôt ? J’ai tout de même bien envie de te voir et de te baiser au risque de me faire enlever le morceau. Tâche de venir bien vite ou je me fâcherai à la fin. Aimez-moi ou je vous tue et baisez pour moi tous les goistapioux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 179-180
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « bonhommes ».
b) « plutôt ».
c) « phisique ».
d) « becs ».


5 décembre [1841], dimanche soir, 4 h. ½

Mon Toto, vous tenez donc tout à fait à vous faire fiche des coups ? Si vous y tenez, vous n’avez qu’à venir, on vous en servira de tout chauds. Comment, brigand que vous êtes, vous ne voulez pas venir mieux que ça. Surtout à la veille de commencer votre pièce [6], vous ne me donnez même pas ce pauvre petit morceau de bonheur. Vous êtes un infâme, un lâche, un chien et j’ai le droit de vous tuer partout où je vous trouverai. En attendant, dites-moi comment va mon pauvre petit Toto ? Bien, je l’espère. Ma péronnelle pioche après le fameux chiffre, je crois qu’elle en viendra à bout. Du reste, il faut que je lui donne de quoi acheter des brodequins car les siens sont dans un état hideux et je ne sais pas comment elle a pu et osé venir avec. Tu les verras ce soir et tu m’en diras des nouvelles.
Du reste, la mère Pierceau n’est pas encore venue et peut-être ne viendra-t-elle pas car le temps n’est rien moins qu’engageant [7]. Mais ça m’est égal, c’est vous, vous seul que je veux et que je n’ai pas, ce qui me fait bisquer. Hum ! si j’étais derrière vous, vous le sentiriez bien assez. Je crois que vous voici.

10 h. ¾

Tout mon monde est parti, tout mon monde, Mme Pierceau et Joséphine. Ma Clairon est là auprès de moi, qui voit arriver le demain avec angoisse. J’espère qu’elle va bien travailler encore ce mois-ci. Moi, je t’aime comme je peux t’aimer, de tout mon cœur et de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 181-182
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

Notes

[1François-Victor Hugo, que Juliette surnomme « le petit Toto » ou « l’autre Toto », est un enfant de santé très fragile et il est malade depuis deux jours. Il va développer une maladie pulmonaire très grave peu de temps après.

[2Claire, pensionnaire d’un établissement de Saint-Mandé, est arrivée chez sa mère la veille au soir.

[3Ruy Blas,a été repris à la Porte-Saint-Martin le 11 août 1841, avec Frédérik Lemaître et Raucourt, pour de nombreuses représentations régulières en août, septembre et octobre, très ponctuelles en décembre. Quant à Angelo tyran de Padoue, une reprise au moins a eu lieu à la Comédie-Française début décembre, avec Mlle Rabut dans le rôle de Catarina.

[4La couleur verte est une allusion à l’habit sur mesure porté par les membres de l’Institut de France lorsqu’ils sont en réunion solennelle.

[5Voir les lettres du 3 et 4 décembre 1841.

[6Hugo s’est engagé le 26 novembre à livrer à Buloz son prochain drame, Les Burgraves, pour février 1842.

[7En général, le dimanche soir, quelques amies de Juliette Drouet viennent dîner chez elle. Il s’agit de Mme Triger, de Mme Guérard, de Mme Besancenot et de Mme Pierceau, beaucoup plus rarement de Mme Krafft.

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