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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 avril [1839], dimanche matin, 11 h. ¾

Bonjour, mon cher petit homme, comment allez-vous ce matin ? Je ne vous demande pas comment vous m’aimez parce que je sais bien que la réponse se ferait attendre, surtout si vous êtes descendu dans le fameux puitsa artésien que votre génie fouille et creuse pour en faire jaillir des sources d’admirable poésie, moi qui reste tout naïvement sur le PLANCHER DES VACHES. Je vous aime, je vous attends et je vous crie de toute la force de mon âme : Toto, m’aimes-tu ? Je fais des vœux bien ardents pour que ton travail cesse pendant quelque temps. Je suis vraiment fatiguée de t’aimer toute seule. Avec ça que vous avez l’imprudence de me laisser la BOÎTE DE PANDORE, les comestibles de Tantale. Je ne parle pas des femmes nues de Saint-Antoine, attendu que toutes leurs cachuchas [1] ne me feraient pas sourciller, mais j’ai là vos vers qui me font venir l’eau à la bouche, le VADE RETRO SATANAS lui-même n’a que peu de succès sur la tentation qui me prend de mettre mon bec dans cette délicieuse pâture. La seule chose qui me retienne, c’est la parole donnée et la crainte de vous déplaire. Je vous aime, allez, plus que vous ne méritez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16338, f. 103-104
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « puis ».


28 avril [1839], dimanche soir, 11 h. ¾

Mon cher petit bijou d’homme, je vous aime, si vous revenez tout de suite, vous serez le plus charmant des Toto comme vous en êtes déjà le plus aimé. Je n’ai pas voulu sortir ce soir parce que je n’étais pas prête, que je suis un peu mal à mon aise et qu’il fait très froid. J’ai par devers moi l’exemple de la cocotte et je n’ai pas envie d’en être réduitea à me moucher dans les barreaux de ma cage, c’est bien assez de regarder à travers. Pauvre petite bête, je ris mais je n’en ai pas la moindre envie, car il me semble impossible qu’elle puisse résister à une si longue et si fatiganteb maladie. Je l’ai mise sur ma petite table ronde pour être plus à même de lui porter secours et puis je l’ai recouverte avec le tapis turc. J’ai aussi donné l’ordre à ma servante d’aller prendre une consultation demain matin chez l’oiseleur. Je donnerais tout au monde pour l’empêcher de souffrir, j’y tiens comme [à] un souvenir vivant de ta bonté et de ta grâce charmante à me donner tout ce qui peut me faire plaisir et que tu as à ta disposition. Enfin j’y mets tous mes soins et si elle meurt ce ne sera pas ma faute. Baise-moi, aime-moi et reviens tout de suite auprès de ta vieille Juju. C’est si bon de t’avoir là auprès de moi et de te caresser.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16338, f. 105-106
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « réduit ».
b) « fatiguante ».

Notes

[1Danse espagnole exécutée en solo et accompagnée de guitare ou castagnettes, la cacucha avait été popularisée en France par Fanny Elssler depuis 1836 (dans Le Diable boîteux de Coralli).

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