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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 janvier [1836], samedi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon cher adoré, j’ai fièrement bien dormi. Il est 10 h. ½, c’est une manière de prolonger la soirée d’hier.
Quelle bonne surprise vous m’avez faite en venant me chercher sans que je m’y attendisse le moins du monde. Comme nous avons bien employé les quelques heures que nous avions devant nous. C’est affaire à NOUS.
J’espère mon cher adoré que rien de triste ne sera survenu à ton cher petit Toto pendant ton absence. J’espère que tu l’auras trouvé bien endormi, ne souffrant pas et que tu l’auras bien embrassé pour toi et pour moi.
Cher petit homme, je ne sais pas où je mets ma plume tant il y a de fumée dans ma chambre, avec cela j’ai un excessif mal de tête, ce qui rend la chose encore moins drôle comme disait [illis.]. Ah ça, mon cher petit bijou, nous devrions bien tâcher de voir des appartements aujourd’hui. Moi je suis toute prête. J’ai mes mesures écrites à une ligne près et puis, mon cher petit homme, je vous verrai beaucoup plus tôt, ce qui n’est pas indifférent. Il fait un temps très doux et très charmant pour ce genre de promenade. Je vais me dépêcher de faire mon ménage et puis je vous aime, et puis je vous aime, et puis encore je vous aime, cette fois, c’est tout mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 21-22
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa


23 janvier [1836], samedi soir, 7 h. 20 ma

Mon cher petit homme bien aimé, il paraît que M. B. vous a retenu jusqu’à présent, à mon grand regret. J’espère qu’aucun autre fâcheux ne s’opposera à ce que vous veniez très tôt ce soir. Cher petit homme, vous êtes bien bon et bien gentil d’être venu me voir un peu tantôt. Vous aviez l’air un peu triste. Le chagrin de nous quitter si tôt mis à part, vous étiez encore fort triste. De quoi ? je ne sais, mais cela m’inquiète chaque fois que ce phénomène arrive. Je crains toujours que [illis.] embarras de position ou la fatigue du travail de la nuit ou je ne sais quoi de plus malheureux encore ne soit la cause véritable de cet abattement que vous appelez préoccupation. Je te le dis avec amour et avec douceur mon chéri, mais je suis vraiment très tourmentée de ton air triste chaque fois que tu l’as. Je ne sais pas si je fais bien en refusant l’engagement du Théâtre Saint-Antoine [1]. Je crains d’un côté de faire peser sur toi ce nouveau déficit dans mes finances. D’un autre côté aussi, je tremble de sacrifier à tout jamais un avenir déjà bien compromis par l’événement de Marie Tudor [2] et par deux années d’absence de la scène. Je ne sais que résoudre. J’ai fait humainement tout pour mon amour. Je suis prête à tout faire encore pour diminuer et alléger le fardeau que tu portes avec tant de courage et de persévérance. Si tu crois que cela te soulagera en acceptant, je suis prête, mais cette raison est pour moi la seule bonne, la seule déterminante. Dis-moi franchement comme à ton âme, comme à ta bien-aimée, ce qu’il faut que je fasse je le ferai et ne te parlerai jamais plus de ce que j’aurais fait, que cela réussisse ou non.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 23-24
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) Écrit, d’une autre main, en travers de la page entre la date et la première ligne : « Cette lettre n’est pas à sa place ; elle doit appartenir à l’année 1837. » Et, plus loin : « 1836 », souligné d’un double trait. L’allusion, dans la lettre, à l’engagement possible au Théâtre de la Porte-Saint-Antoine, et la mention de « deux ans » d’absence de la scène, confirment bien la date de janvier 1836.


23 janvier [1836], samedi soir 9 h.

Mon cher petit homme, voici un affreux complément de la journée d’hier auquel vous ne vous attendiez pas et qui ne vous satisfera probablement que très peu. Enfin, ce n’est pas ma faute. Comme je vous ai écrit avant le dîner, il m’a semblé que j’avais à vous écrire après parce que j’avais encore bien des choses à vous dire, la première et la seule, c’est que je vous aime. À la manière dont j’éprouve l’amour que j’ai pour vous il me semble toujours que je vous fais une révélation. C’est toujours bon et nouveau comme le premier jour où je vous ai dit : je t’aime.
Voilà pourquoi, mon cher bien-aimé, je vous poursuis de mes lettres jusque dans votre sommeil. C’est pour vous dire seulement ces deux mots : je t’aime.
Mon cher bien-aimé, je te prie de ne pas faire avec moi de générosité mal entendue. S’il est de l’intérêt de ton repos et de santé que j’entre à Saint-Antoine, j’y entrerai sans regret et sans chagrin. Je serai toujours heureuse et fière de contribuer pour ma part à l’œuvre que tu as entreprise de me relever de ma vie passée. Ainsi, pas de scrupules bêtes, pas de délicatesse absurde. Dis-moi ce qu’il faut que je fasse et je serai trop heureuse de le faire. J’espère qu’il sera encore temps demain de revenir sur une résolution prise ce soir en supposant que tu aies vu M. Joly.
Je t’attends mon pauvre ange, avec toutes sortes d’impatiences, celle de te voir, la première et la plus forte de toutes, celle de rétracter s’il est nécessaire la résolution que j’avais prise tantôt et puis enfin celle de te donner mille et mille caresses partout où je pourrai trouver place où en mettre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 25-26
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

Notes

[1Juliette quitte la Comédie-Française, où elle est pensionnaire depuis deux ans sans avoir reçu aucun rôle à jouer. Elle donne sa démission à Jouslin de la Salle, et entre en relation avec Anténor Joly et Ferdinand de Villeneuve, directeurs du Théâtre de la Porte-Saint-Antoine, récemment ouvert, depuis décembre, près de la Bastille.

[2Le 7 novembre 1833, après une piètre prestation dans le rôle de Jane, dans Marie Tudor, que Hugo avait écrit pour elle, Juliette Drouet se voit retirer le rôle, qu’elle n’aura joué qu’un soir. L’humiliation est cuisante et durable. Elle ne se remettra jamais de cet échec.

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