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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 juin 1841

27 juin [1841], dimanche matin, 10 h. ¾

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon amour, je vous aime. Vous m’avez donné un joli bracelet [1] mais je ne suis pas heureuse parce que vous n’êtes pas venu ce matin. Il m’est arrivé en outre un très gros malheur : le petit singe chinois qui tenait mal debout est tombé sur le plateau de porcelaine et s’est cassé le coua [2]. J’aurais mieux aimé casserb toutes les porcelaines de Mme Pierceau, de la mère Triger [3] et de Fifine [4] que de casser mon pauvre petit singe qui était si drôlatique. Je sais bien que j’ai mon bracelet turc mais j’aurais voulu pour tout au monde garder mon petit singe chinois. Enfin le bon Dieu sait ce qu’il fait mais moi je le trouve absurde de m’ôter d’une main ce qu’il me donne de l’autre. Ce que je dis du bon Dieu je le dis aussi de vous qui avez la féroce habitude de me donner une heure de bonheurc pour m’en ôter plusieurs le lendemain. Vous êtes un monstre. Baisez-moi, je vous aime mais je ne suis pas une femme abysinienne ni une femelle turque, je vous en préviens [5].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 293-294
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « cous ».
b) « cassé ».
c) « bonne heure ».


27 juin [1841], dimanche après-midi, 3 h.

Le temps est toujours bien sombre, mon adoré, et moi toujours bien triste de ton absence. C’est une Saint-Médarda qui dure pour moi depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre sans espoir de la voir finir bientôt [6]. J’ai reçu une lettre de Mme Pierceau qui m’annonce probablement qu’elle ne viendra pas. Il ne faut pas être bien sorcière pour deviner cela. Mme Triger est, je crois, fâchée depuis ta réception, elle n’a pas donné dans l’histoire de la rencontre et des billets de Demousseauxb, de sorte que je la crois cartonnée [7]. Ainsi, si Joséphine ne vient pas je serai toute seule toute la soirée [8].
J’ai reçu une lettre de Claire ce matin qui me prie de l’envoyer chercher mercredi soir et puis voilà toutes les nouvelles extérieures [9]. Quantb aux nouvelles intérieures il faudrait tout le papier, toute l’encre, tous les crayons et toutes les plumes de l’univers pour vous écrire la première partie. Je vous en donne seulement ce petit extrait dont vous ferez ce que vous voudrez : – Toto, je t’aime de tout mon cœur et de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 295-296
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « Saint-Médar ».
b) « Démousseaux ».
c) « quand ».

Notes

[1Hugo a offert la veille à Juliette un petit bracelet turc qu’il lui promettait depuis quelques jours.

[2Hugo éprouve un intérêt tout particulier pour la Chine et c’est la raison pour laquelle il donne fréquemment à Juliette de petits objets chinois.

[3Le dimanche 23 mai, Mme Triger a apporté à Juliette « deux tasses à déjeuner et 3 petites à prendre le café en porcelaine », qu’elle a trouvées « très gentilles, du moins les trois petites tasses ».

[4Pourrait-il s’agir de sa voisine Joséphine ?

[5Voir la lettre du jeudi 8 juillet après-midi : « Nous ne sommes pas en Orient et vous ne m’avez pas achetée, grâce au ciel. Je suis libre de me soustraire à des procédés qui ne sont ni justes ni honnêtes ni affectueux ».

[6On fête Médard de Noyon ou saint Médard, évêque picard du VIe siècle, le 8 juin, mais, selon la légende, son nom est associé à de nombreuses expressions faisant référence à la pluie comme : « Quand il pleut pour la Saint Médard, il pleut quarante jours plus tard ». Juliette en parle quasiment tous les ans à la même date en associant la noirceur du temps à son état psychologique.

[7Hugo a été élu à l’Académie française le 7 janvier et sa cérémonie de réception qui s’est déroulée le 3 juin était publique. Il s’est ainsi vu assailli de demandes d’amis et de connaissances pour y assister et malheureusement, le nombre de places attribuées à un récipiendaire sont toujours limitées. De ce fait, M. Desmousseaux et Mme Pierceau ont eu une invitation pour les remercier d’un service, ce que Juliette avait néanmoins considéré comme une « imprudence », et pas Mme Triger.

[8En général, le dimanche soir, quelques amies de Juliette Drouet viennent dîner chez elle. Il s’agit surtout de Mme Triger, de Mme Guérard, de Mme Besancenot et de Mme Pierceau.

[9Claire est pensionnaire d’un établissement de Saint-Mandé depuis 1836 et elle vient en général passer les fins de semaine chez sa mère. Ce sont principalement les Lanvin qui vont la chercher et qui la ramènent.

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