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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 juillet [1841], mardi matin, 11 h. ¼

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon cher amour. Je t’écris tard, mon Toto, parce que mes frictions et mes tisanesa me prennent le meilleur de mon temps. D’ailleurs, je suis furieuse contre vous, ainsi je vous écris toujours assez tôt et assez bien pour un affreux bonhomme comme vous. Vous êtes bien revenu, n’est-ce pas brigand ? Mais aussi vous allez acheter des foulards dans les boutiques pour regarder les boutiquières et vous leur payez 6 F. 10 sous des foulards qu’on aurait pour 4 F. 10 sous à la penaillon, et encore en plus belle soie et beaucoup plus grande ; tout ceci peut-être fort innocent mais j’en doute. D’abord, il y a un fait monstrueux et que toutes les explications du monde n’atténuentb pas, c’est votre entêtement à ne pas venir chez moi. Tenez, je ne ris plus du tout. Sérieusement, mon amour, pourquoi ne veux-tu pas venir ? Tu te reposes toujours un peu ? Pourquoi ne pas me donner la joie de te dorloterc dans mes bras ? Tu ne sais donc pas comme c’est une grande joie pour moi et un bonheur ineffable que de t’avoir auprès de moi, ne fût-ced qu’une pauvre petite heure pendant laquelle tu dors un peu, tu barbottes beaucoup et tu me fais enrager énormément. Si tu savais cela, mon adoré, tu serais moins longtemps sans venir le matin et je serais la plus heureuse des femmes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 45-46
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « tisannes ».
b) « n’atténue ».
c) « dorlotter ».
d) « ne fusse ».


13 juillet [1841], mardi soir, 9 h. ¾

J’ai été obligée d’attendre le départ de Mme Guérard pour t’écrire, mon adoré, mais je t’aime, mais je pense à toi, mais je parle de toi, mais je t’adore. Mon Dieu, que cette pauvre femme est insignifiante, et que je serais attrapéea d’être forcée de vivre avec elle toujours. Je me permets ce petit accès de fatuité avec toi parce qu’autant en emporte le vent et que tu en seras quitte pour te moquer de la pelle et du fourgon [1] et pour en rire dans ta barbe de vingt-quatre heures. À propos de barbe et de bottes, je vous défends expressément d’aller à aucune réception sans moi, pas plus à celle du hideux Ancelot qu’à celles des autres [2]. Je ne le veux pas sous aucun prétexte ou je vous flanque des calottes à tire-larigotb. Vous entendez bien, ne vous y frottez pas car il vous en cuirait.
J’étais en train de nettoyerc mes armoires de fond en comble quand Mme Guérard est venue à la traverse ; force m’a été d’interrompre mon nettoyagec sterling pour lui faire des gracieusetés qu’elle n’apprécie pas car la pauvre femme est presque aussi bonne et aussi stupide que son mari. Mais je t’aime, je t’aime, je me fiche du reste. Je t’aime, je t’adore mon bon petit homme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 47-48
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « attrappée ».
b) « tire larigo ».
c) « nétoyer » et « nétoyage ».

Notes

[1Vient de l’expression « c’est la pelle qui se moque du fourgon », ancienne version de « l’hôpital qui se moque de la charité ».

[2Ancelot, contre lequel Hugo a remporté son élection le 7 janvier 1841 à l’Académie française, a été élu juste après lui, le 26 février, au fauteuil de Louis de Bonald. Son discours de réception aura lieu le jeudi 15 juillet, comme Juliette le redoute, à l’occasion des séances publiques. Le 10 juin, Victor Hugo a assisté à sa première et par la suite, Jean-Marc Hovasse fera remarquer qu’il sera, à quelques exceptions près, « un académicien modèle » (Victor Hugo, t. I, ouvrage cité, p. 824). Malheureusement, Juliette demande depuis le début à ce que Hugo n’y assiste pas sans elle, sans succès pour l’instant puisqu’il s’est déjà rendu à la réception de Sainte-Aulaire la semaine précédente.

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