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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 juillet [1841], samedi soir, 4 h.

Croirais-tu, mon amour, que sans m’être amusée une seule minute je n’ai pas fait autre chose depuis que tu es parti que de coller tes petits morceaux de journaux [1] et de copier la lettre de Besançon [2] ? C’est pourtant la vérité et je ne suis ni débarbouillée ni habillée et j’ai un tas de choses à faire. Décidément je ne suis pas une femme de PLUME et la LÉGÈRETÉ n’est pas non plus mon fait.
Je crains, mon amour, de m’être un peu émancipée en votre absence et si ce n’était à cause de la promesse que je vous ai faitea de tout vous dire je vous cacherais, pour aujourd’hui seulement, que je me suis lâchéb une petite robe de toile à (15 sous le mètre) mais ravissante, de bon goût et de bon marché. Battez-moi, mon Toto, mais ne me boudez pas et surtout, pensez que j’ai besoin, comme une autre, de me donner de temps en temps une nouvelle feuille de vigne pour remplacer celles qui s’usent et se fanent sur mon pauvre corps du bon Dieu [3]. Sur cet aveu dépouillé d’artifice, ne me croyez pas la plus dépensière des femmes et ne me retirez pas votre confiance. Je n’ai pas payé la susdite robe, ce sera pour la prochaine fois que la penaillon viendra par ici, dans une quinzaine de jours. Jour Toto, jour mon petit o, jour mon cher petit homme, ne grogne pas. Je t’aime et je suis très raisonnable je t’assure. C’est tantôt que Suzanne va chercher de la pharmacie et de l’huile et du vinaigre huppé car pour celle, et celui de l’épicier ordinaire il n’y a pas moyen de s’en servir. En même temps on portera la robe à la couturière mais j’en garderai un petit échantillon pour te la montrer. Jour mon Toto. Tu m’as promis de revenir bientôt, tâche que ce ne soit pas une promesse en l’air et que je puisse t’embrasser auparavant ce soir. Je t’aime mon Toto chéri.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 35-36
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette


a) « faites ».
b) « lâchée ».

Notes

[1À élucider.

[2À élucider. Victor Hugo est né à Besançon, où il ne passera que six semaines, car son père s’y trouvait en garnison en 1802.

[3Cette remarque fait écho à une autre du mercredi 20 janvier 1841 : « Nous sommes trop gênés […] pour que j’aie le courage de prendre autre chose que l’argent indispensable pour notre maison. Plus tard, quand nous serons sortis de cette affreuse époque, je serai moins généreuse peut-être car ma garde-robe se simplifie de jour en jour et je finirai par n’avoir plus bientôt que la feuille de figuier de la mère Ève, ce qui n’est pas assez pour une vieille frileuse comme moi ».

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