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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 août [1836] après-midi, dimanche, 3 h.

Cher adoré, je travaille, je viens de mettre le linge à la blanchisseuse. J’ai été très malade depuis que tu es parti. Je ne sais si c’est la médecine bue il y a six jours qui opère maintenant, mais j’ai rendu un de ces animalcules que tu sais.
Je continue de souffrir et d’avoir chaud. Je ne puis rien faire du tout pour dîner, tant pis pour toi si tu viens trop tard. Mais à te dire vrai je ne le crois pas. Je sais que tu passes ordinairement tes dimanches à Fourqueux [1]. Quant à moi je les passe à m’ennuyera, comme toujours, je ne peux pas m’en empêcher. Ça ne m’empêche pas de reconnaître que tu es la bonté même, que tu es aussi doux que tu es beau et aussi indulgent que tu es grand.
Bonjour mon Toto, vous m’attraperiez joliment si vous n’étiez pas à Fourqueux aujourd’hui. Ce serait pourtant bien le cas de venir me surprendre puisque je vous dis que je ne crois pas que vous restiez à Paris.
Je vous aime, je vous aime, je pense à vous. Je t’aime, te voilà mercié [2] et bonjour.

J.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 232-233
Transcription de Nicole Savy

a) « m’ennuier ».


14 août [1836], dimanche soir, 7 h. ¼

Voici l’heure passée à laquelle j’avais mesuréa la chance de vous avoir ce soir. Maintenant je n’ai plus d’espoir. Je suis poursuivie par un mauvais esprit, par un malaise agaçant et par l’ennui de savoir que je ne vous verrai pas d’aujourd’hui. Il ne suffit donc pas de travailler et d’occuper son esprit à lire pour échapper à l’impatience, à l’ennuib et à la démoralisation.
Je ne comprends pas pourquoi tu t’opposes à ce que j’aille voir une pauvre femme malade et une autre dont l’enfant se meurt peut-être à l’heure qu’il est. Encore si tu consentais à m’y mener toi-même, ne fût-cec que cinq minutes, ce serait une concession dont je te saurais gré. Car enfin mon pauvre ange deux ans et demid de la réclusion la plus absolue, de la fidélité la plus éprouvée devraient te faire relâcher de cette rigueur atroce, surtout quand de ton côté tu vois du monde et circulese librement où tu veux.
Ne prends pas cela en mauvaise part mon cher bien-aimé. Je t’aime autant et plus que je ne t’ai jamais aimé. Mais je ne peux pas m’empêcher de souffrir de cette vie d’attente continuelle et de me révolter contre cette espèce de tyrannie que tu exercesf sur moi à propos de tout et partout.
Je t’aime va, je t’aime. Je baise tes quatre petites pattes et ta belle bouche.

J.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 234-235
Transcription de Nicole Savy

a) « mesurée ».
b) « l’ennuie ».
c) « fusses ».
d) « demie ».
e) « circule ».
f) « exerce ».

Notes

[1Cet été-là, Victor a loué une maison à Fourqueux, entre Saint-Germain-en-Laye et Marly-le-Roi, pour sa famille et ses amis. Il fait des allers et retours fréquents depuis la Place royale.

[2Juliette use d’un verbe d’ancien français, « mercier » : récompenser, remercier.

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