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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 octobre [1837], dimanche matin, 9 h. ½

Pas venu ce matin, pas cette nuit. À quoi passez-vous donc votre temps, mon cher petit homme ? Ne répondez pas, je sais tout ce que vous allez me dire. Vous avez passé la nuit comme toutes les précédentes à travailler pour moi et vous ne voulez pas que je sois triste et que je m’inquiète de l’avenir. Pauvre bon ange, si je ne t’aimais pas ça me serait en effet égal car je saurais bien qu’on peut compter sur toi jusqu’à la mort, mais c’est précisément ce dévouement et ce noble caractère que j’admire et que je redoute. Je voudrais pour tout au monde pouvoir suffire à tous mes besoins pour te laisser reposer un peu et t’aimer sans crainte. Vois-tu, mon cher petit Toto, je t’aime du fond de l’âme. Je pense sans cesse à toi et bien souvent mes pensées sont tristes. C’est chaque fois que tu passes les nuits pour moi. Toi tu ne te plains jamais, pauvre adoré. Pauvre homme noble et généreux, c’est bien vrai que je t’adore.
Vous avez profité de mon demi-sommeil de la nuit pour emporter la lettre de Mme Duschambge [1] sans me la montrer. Qu’est-ce que vous méritez pour cela, hein ? La mort [2]. Mais je commue encore cette fois-ci en dix mille baisers sous la plante des pieds. C’est plus oriental et je vous l’accorde, allez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 273-274
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


15 octobre [1837], dimanche soir, 9 h. ½

Il est joliment vilain mon beau dimanche. Vous êtes venu cinq minutes tantôt, et depuis vous n’êtes pas revenu voir votre pauvre Juju qui vous aime tant. Si vous croyez que je peux vivre comme ça longtemps vous vous trompez, mon cher petit homme, et beaucoup encore. Mme Pierceau est venue dîner avec moi. Elle est repartie tout à l’heure. Du reste, elle ne m’a rien appris de nouveau ni moi non plus car il y a déjà longtemps qu’elle sait que je t’aime. Mme Krafft va toujours de mal en pire ce qui me tourmente extrêmement. Et puis je ne t’ai pas vu ce soir, ce qui me rend très triste. Encore si j’étais sûre que tu viendras cette nuit, j’aurais plus de courage et plus de patience. Mais c’est au moins fort douteux. J’ai retrouvé la brochure de ce M. [Béliard [3]  ?], ne me tourmentez plus à ce sujet, car vous savez que la nécessité de refouiller dans les vieux journaux ou les vieilles brochures me met au désespoir. Je vais donc me coucher comme je me suis levée, sans vous voir ? C’est gentil et pas drôle. Si je choisissais mes plaisirs, je les prendrais autrement, mais comme on me les donne par-dessus le marché je n’ai pas le droit d’être difficile. Aussi je me rabobiche [4] en vous aimant encore plus.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 275-276
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

Notes

[1Antoinette-Pauline de Montet-Duchambge, dite Pauline Duchambge (1778-1858), était une chanteuse et auteur de nombreuses romances de salon, ancienne élève de Cherubini et compagne d’Auber. Elle fut l’amie inséparable de Marceline Desbordes-Valmore avec qui elle composa. Née à la Martinique, elle avait suivi à Paris son amie Joséphine Tascher de la Pagerie qui venait d’épouser Beauharnais.

[2Connue pour son goût de l’intrigue, Pauline Duchambge fut à l’origine de la brouille entre Marie Dorval et Alfred de Vigny en 1837-1838. La missive dont il est question pouvait donc éventuellement contenir quelques petits potins, d’où la curiosité et la frustration de Juliette.

[3À élucider.

[4« Rabobicher » (qui a donné par métathèse « rabibocher ») signifie « raccommoder », ce qui ici entraîne plutôt le sens de « se consoler ».

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