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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 janvier [1840], dimanche soir, 4 h. ½

Merci Toto, merci mon bon petit homme, tu es bien i. Tu aurais été bien absurde de t’en aller hier au soir et de perdre ainsi un bon quart d’heure d’amour et de possession. Va, le meilleur piège c’est celui de s’aimer comme nous le faisons et de ne pas se quitter quand on le peut. J’ai été bien malingre et bien grinchue et pourtant la joie d’être avec toi était bien entière et bien forte mais cet incroyable mal de tête me tue. Je crois cependant que je me trouverai bien du remède si vigoureusement appliqué cette nuit, je sens déjà qu’il opère car j’ai moins mal à la tête que ce matin. Quand je vous dis que ma santé, ma vie et ma joie dépendent de vous je ne me trompe pas, j’espère. Je voudrais bien que vous n’allassiez pas étaler vos grâces aujourd’hui. Je commence à désirer votre admission à cette boutique [1] car je vois que vous prenez goût à la candidature et à tout ce qui s’en suit. Mais moi qui n’ai pas besoin de vous aimer pour que vous fassiez le gentil avec toutes ces femelles, je désire ardemment que ça finisse le plus tôta possible. Ainsi donc soyez de l’Académie et dépêchez-vous car je commence à trouver le temps que vous passez en visites un peu trop long. Il fait trop vilain pour que la mère Pierceau vienne surtout qu’elle est chez Mme Triger, elle y restera et je l’en loue car le temps n’est pas praticable : le vent, la pluie et la nuit sont de très mauvais compagnons de route. Du reste je m’en passerai très bien car j’ai fait cette nuit ma petite provision de bonheur. Soir pa, soir to. Comment que ça va ? Je vous dis que je vous aime. Je vous dis que vous êtes mon Toto adorable et adoré. Je vous dis que vous m’éblouissez et que vous êtes mon amour. Baisez-moi et n’oubliez pas nos culottes, moi qui raccommodeb bien vos paletots, j’ai bien droit à cette indemnité. En attendant, baisez-moi et aimez-moi la moitié de ce que je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 96-97
Transcription de Chantal Brière

a) « plutôt ».
b) « racommode ».


27 janvier [1840], lundi après-midi, 1 h. ¾

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon adoré, je suis levée depuis bien longtemps, mon petit homme, mais j’ai donné une fameuse séance à mon tablier qui avait au moins une livre d’huile à quinquet répanduea sur lui. Voilà déjà deux fois qu’il lui arriva des catastrophesb, ce pauvre tablier a bien du malheur et ma robe bien du bonheur absolument comme le vaisseau et les boulets dont tu parles dans ton petit album. À propos j’ai oublié de te dire ce fameux détail hier sur le ministre de l’Intérieur et sur Védel au sujet de la Saint Charlemagne. Voici ce que c’est : les élèves sont allés comme d’habitude demander leur spectacle à Védel [2], ils ont demandé cette fois-ci Mlle Rachel. Mais le ministre avait apostéc des sergents, donné l’ordre à Védel de refuser Mlle Rachel et de donner Louis XI [3] !!! Là-dessus grande colère des collégiensd qui menacent de venir sifflere la susdite pièce y compris l’auteur, et Védel de répondre : j’ai mes instructions et d’ailleurs vous n’êtes pas autorisés par le proviseur et vous aurez Louis XI. Que dis-tu de cette fameuse punition que le Roi, que le MINISTRE, QUE VÉDEL voulait faire sa loi au CASIMIR DES RAISINS [4] ? Quantf à moi, j’avoue que tous ces gens-là me paraissent les plus faux, les plus stupides et les plus plats des hommes. À peine as-tu été parti cette nuit que je me suis souvenueg de cette petite histoire mais il n’était plus temps de te la raconter. Quand tu es là je suis fascinée et éblouie, je ne me souviens que de mon amour, je ne vois que toi, je ne sais que toi. Mon Dieu, les admirables vers que tu m’as ditsh hier et comme je voudrais les avoir pour les apprendre par cœur. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 98-99
Transcription de Chantal Brière

a) « répandu ».
b) « catastrophe ».
c) « apposté ».
d) « colégiens ».
e) « sifler ».
f) « quand ».
g) « souvenu ».
h) « dit ».

Notes

[1Victor Hugo présente sa candidature à l’Académie française.

[2Le lycée Charlemagne a sa soirée réservée à la Comédie-Française. Lors de la bataille d’Hernani, en 1830, les élèves avaient réservé un accueil enthousiaste à la pièce.

[3Tragédie de Casimir Delavigne, créée en 1832.

[4Jeu de mots sur le nom de Casimir Delavigne.

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