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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 janvier [1840], mardi soir, 5 h. ¼

Cette fois-ci, mon Toto, c’est vous qui avez manqué à la tradition en ne vous trouvant pas à votre réplique quand j’ai ouvert la fenêtre de chez la mère Pierceau, pour vous voir, au risque de laisser envoler le peu de chaleur que contient un poêle éteint depuis trois heures. Je voudrais bien savoir pourquoi vous avez déserté de votre poste avant d’avoir été relevé par un bon regard d’amour de votre Juju et par trois baisers de l’âme de mon pauvre corps transi de froid. Une autre foisa vous garderez mieux la consigne et vous attendrez que le caporal et les trois gendarmes ci-dessus désignés vous aient donné congé. Tâchez de vous souvenir de mon ingrate figure et d’aimer ma carcasse plissée par la main du temps car j’entends et je prétends ne pas être mise de sitôt à l’index. Je ne renoncerai à cette prétention que lorsque les considérations humaines qui cachent une filiation désavouée par les hommes m’aient recouverte d’un SARCOPHAGE [dessin]b mais pas auparavant ou sinon gare les coups et les INDISCRÉTIONS, ou je dirai à toutes les femmes l’affreuse maladie dont vous êtes DÉVORÉ… !!! Dieu qui fait chaud chez la mère Pierceau autant vaudrait demeurer au bain à quatre sous iffe iffffffe iffffffffe. Pauvre adoré bien-aimé, tâche de ne pas avoir trop froid et surtout ne te fatigue pas trop à cause de ce que tu sais. Je t’en prie, je t’en prie. Ménage-toi à cause de moi qui deviendrais folle si tu étais sérieusement malade. Je ouatec ton paletot de baisers bien doux et bien chauds, je te fais un cache-nez de mes NETS NETS et toutd le reste de ma FOURRURE à tous les endroits sensiblese de ton cher petit corps adoré [1]. Aimez-moi mon Toto. Aime-moi mon amour, je te le rends d’avance et avec l’intérêt des intérêts des intérêts. Allons bon voici qui fume, on va ouvrir la fenêtre pour laisser sortir la fumée, peut-être entrera-t-il un peu de chaleur par la même occasion, c’est la seule chance de ne pas geler que nous ayons. Je suis bien fâchée d’avoir oublié les petits linges pour la charpie. Tu sais mes scrupules pour en demander à Mme Pierceau ? Mais je te promets de t’en faire ce soir n’importe à quelle heure. C’est bien le moins, pauvre âme de mon âme, que j’aie soin de tes bobos. Je voudrais te donner ma vie comme je te donne mon amour, je serais bien fière et bien heureuse. Malheureusement tu n’as pas besoin de moi, toi, tu es heureux, tranquille et glorieux sans que j’y contribue en rien. Hélas ! c’est là le côté triste de ma vie et il faut tout le courage d’un amour dévoué comme le mien pour supporter mon insignifiance et mon inaction. Je t’aime mon Toto, je t’adore mon petit homme. Tu es mon roi, mon poète, mon maître et mon [amour  ?].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 26-27
Transcription de Chantal Brière

a) « autrefois ».
b) Juliette a dessiné un sarcophage entouré de deux arbres. Un gisant schématique orne le dessus et une inscription occupe le côté visible : « Ci gît Mlle Juju » :

© Bibliothèque Nationale de France


c) « ouatte ».
d) « toute ».
e) « sensible ».

Notes

[1Toute la phrase comporte des allusions grivoises.

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