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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 juin 1855

Jersey, 18 juin 1855, lundi après-midi, 2 h. ¼

Je ne demanderais pas mieux, mon grand poète, que de me parer des adorables vers que j’ai là sous les yeux et de croire que vous pensiez à moi en les faisant ; mais l’inexorable raison s’oppose à cette tentation d’un amour toujours trop prêt à se faire illusion. Je me contente donc de les admirer avec tout mon cœur et toute mon âme en regrettant de ne pouvoir pas en prendre possession plus entièrement. Je ne serai pas toujours aussi modeste dans le monde des âmes mais ici-bas il faut bien que j’accepte la maussade réalité.
Je suis venue me réfugier près du feu de Suzanne parce que le salon est trop humide et que je ne voudrais pas recommencer l’aria de la réouverture de ma cheminée. Aussi si tu viens tout à l’heure tu pourras travailler auprès du feu sans aucune espèce de gêne. Cependant si tu le préfères je ferai faire du feu dans le salon. Quel temps, mon pauvre petit homme ! C’est à en crever d’engelures et d’ennui. Quand je pense que tu projettesa d’aller te percher à Guernesey [1] où il fait encore plus froid et plus brumeux qu’ici, vraiment, je ne trouve pas que ce soit une idée bien lubideuse [2], pittoresque à part. Après cela, je suis toujours prête à aller partout et ailleurs avec vous. Ce que j’en dis n’est qu’au lâche point de vue des rhumatismes et autre goutte dont je suis pourvue. Après cela encore, vous en ferez ce que vous voudrez. Je m’en lave les pieds et je vous baise au nord et au midi, à l’est et à l’ouest. Telle est ma rose des vents.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16376, f. 253-254
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa

a) « projette »

Notes

[1L’attitude envers les proscrits devenant hostile à Jersey, Victor Hugo envisage d’aller à Guernesey : « Ce matin 11 juin 1855, j’ai trouvé cette ligne écrite à la craie sur ma porte : Hugo is a bad man. », cité par Jean-Marc Hovasse, ouvrage cité, t. II, p. 352. Il y sera contraint fin octobre 1855.

[2« Lubideuse » : lumineuse, prononcée d’une voix enrhumée.

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