30 mai 1862

Guernesey, 30 mai 1862, vendredi, 7 h. ½ du m[atin]

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, je t’aime. J’espère que tu as passé une bonne nuit sans aucune interruption et que tu n’as plus du tout mal à ta pauvre tête. De mon côté j’ai très bien dormi et je me porte très bien et je t’adore, voilà mon bulletin de cette nuit et de ce matin. Le temps, assez maussade au ciel, est assez agréable sur la mer qui est unie comme un lac. Si ta femme doit arriver ce matin elle ne s’en plaindra pas. Mais je crains pour mon pauvre petit jour qu’elle ne vienne que demain et que je ne perde du même coup le père et le fils et mon Saint Esprit, c’est-à-dire mon samedi, mon bonheur ! Mais comme ce retour vous rendra tous si heureux, je tâcherai de faire entendre raison à mon égoïsme et de me contenter de votre joie jusqu’à mardi prochain. En attendant, je prends ma résignation à deux mains et je fais de nécessité vertu comme toujours. Pourvu que je te sache^a heureux et bien portant et que je sente^b que tu m’aimes un peu, tous les sacrifices me sont possibles. C’est pour cela que j’ai besoin de savoir le plus tôt possible comment tu as passé la nuit. Jusque là je t’aime, je te souris et je te bénis. Sois heureux, mon adoré bien-aimé, tu ne le seras jamais autant que je le désire et que tu le mérites.

BNF, Mss, NAF 16383, f. 139
Transcription de Camille Guicheteau assistée de Guy Rosa

a) « saches ».
b) « sentes »