1er mars 1861

Guernesey, 1^er mars 1861, vendredi matin, 9 h. ¾

Bonjour, mon pauvre doux bien aimé. Bonjour mon pauvre souffrant. Bonjour mon ineffable adoré, bonjour. J’attends avec impatience que tu m’apportes de bonnes nouvelles de ta nuit et de ta santé. Jusque là, je n’ose plus rien préjuger puisque cela me réussit si mal. Mais si de t’aimer ardemment et de prier de toute mon âme peut faire quelque chose sur ton repos et sur ta santé, tu dois avoir passé une bonne nuit et te sentir mieux ce matin qu’hier soir, car je ne t’ai jamais mieux ni plus tendrement aimé que cette nuit et jamais ma prière n’est allée à Dieu plus suppliante et plus religieuse. Je donnerais tout au monde pour que tu recouvres ta splendide santé d’autrefois. Malheureusement, cela ne dépend pas de moi et pourtant il faudrait bien peu de chose pour cela : un simple déplacement et un peu de loisir, pas davantage, mais c’est justement ce qu’il y a de plus difficile pour toi, dans les conditions où tu te trouves en ce moment, avec ton livre inachevé, avec un itinéraire limité et quasi forcé, sans compter tous les autres obstacles ou embarras, connus ou inconnus. Il faut donc se résigner à te voir languir et souffrir, sans pouvoir te soulager ni te guérir. Je ne connais rien de plus triste que cette situation et... J’en étais là, mon pauvre adoré quand tu es venu confirmer, hélas, mes trop justes appréhensions. Ô mon pauvre béni, que faire donc mon Dieu pour te guérir sur place et tout de suite puisque t’aimer comme je le fais n’y peut rien ?

BnF, Mss, NAF 16382, f. 59
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Florence Naugrette